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Petit Guide du numérique

Comment l’économie numérique impacte-t-elle l’emploi et les conditions de travail ? Quels sont les sujets centraux pour les partenaires sociaux ? Comment le syndicalisme peut-il se renouveler par le numérique ? Quelles transformations du dialogue social dans l’économie digitale ?

L’ORSEU a préparé ce “guide de survie” à l’usage des partenaires sociaux et pour tous ceux que ces questions intéressent.

Avant-propos

Pour une récente étude consacrée aux formes du dialogue social dans l’économie numérique, nous avons interrogé une série de syndicalistes courant 2014 et 2015. En 2014, aucun des syndicalistes rencontrés ne parlait d’„♦ubérisation… Fin 2015, le terme est sur toutes les lèvres ! Preuve que la compréhension des phénomènes en cours – la fameuse transformation numérique de l’économie et de la société – évolue à la même vitesse que se déroulent ces changements. Mais si aujourd’hui tout le monde parle d’ubérisation, encore faut-il savoir ce que ce terme, ô combien menaçant !, signifie réellement. Derrière l’ubérisation, une évolution inexorable et incontrôlable de nos emplois et de nos façons de travailler ? D’autres menaces aussi accablantes, elles aussi avec des suffixes en « -sation », ont hier (automatisation, informatisation, mondialisation, et on en passe) modifié nos systèmes économiques et nos sociétés.

L’enjeu aujourd’hui pour les syndicats est de parvenir à construire une pensée complexe sur un sujet qui ne l’est pas moins. Pensez : pour analyser l’ensemble des évolutions en cours, il faut être à la fois spécialiste des réseaux et des technologies de l’information, expert en droit social et fiscal, micro-économiste de l’innovation et de la « ♦disruption », capable de comparer des expériences et des changements quotidiens à l’échelle de la planète… Et savoir utiliser ces nouveaux outils pour s’adresser aux salariés et adhérents ! Les syndicats doivent répondre à ces défis dans un contexte où leur parole est peu souvent prise en compte. Dans la masse de rapports officiels qui ont fleuri ces derniers mois sur le numérique, très peu ont auditionné les organisations syndicales, alors que les représentants d’employeurs ont systématiquement voix au chapitre. Voire, une capacité d’analyse qui leur est même contestée, comme en attestent les piques lancées par le numéro 2 du Medef (« je ne vois pas chez les syndicalistes et nos partenaires syndicaux une prise de conscience des enjeux du numérique. On ne vit pas dans le même monde », voir l’entrée „♦syndicalisme)…

Le numérique exige en effet des syndicats une appropriation de différents sujets, et ce guide montre l’étendue des sujets embrassés par la question. Nous avons retenu 52 entrées, ce qui est nécessairement limitatif. Nous avons choisi d’aborder des thèmes qui concernent directement votre activité syndicale ou de représentation. Il y aura la place pour un second tome (en franglais ?) parlant de crowdworking, crowdsourcing, FabLab, etc. ! Nous avons opté pour une analyse critique des différents thèmes retenus, en nous basant sur l’état des connaissances actuelles, et en faisant le pari d’une approche sérieuse mais ludique à la fois. Vous n’y connaissez rien au numérique ? Tant mieux ! Vous pouvez ouvrir ce volume à n’importe quelle page, ou choisir une lecture de A à Z. Vous trouverez un index à la fin de l’ouvrage présentant les différentes entrées et les thèmes associés. Et vous l’avez compris, le symbole ♦„ renvoie à des entrées traitées dans ce guide.

Pourquoi analyse « critique » ? Cela n’aurait en effet aucun sens de « critiquer » les transformations en cours. Mais il faut les comprendre, dans toute leur complexité et leurs enjeux, loin des idées reçues ou toutes faites. A vous, lecteurs, de vous forger votre point de vue, votre propre pensée complexe ! Comprendre l’impact du numérique sur les ♦„emplois, la montée du ♦„travail indépendant, la „♦fonction publique, l’„♦éducation ou l’♦„écologie… Saisir l’importance (ou la non-importance) qu’a l’introduction de nouveaux outils, comme la „♦visioconférence pour les CE, la dématérialisation des bases de données (♦„BDES), l’utilisation de ♦„tableaux numériques ou du ♦„voice picking dans l’industrie logistique. Voir aussi les dangers liés à ces outils, en termes de possible réduction de l’„♦autonomie au travail (bien que celle-ci peut au contraire s’accroître fortement grâce au numérique !), de ♦„surveillance, de „♦santé au travail, etc. Il faut insister sur le fait que derrière ces „♦technologies numériques, il y a des „♦usages. Ces outils n’augmentent pas tout seuls les „♦rythmes du travail : le „♦management a encore et plus que jamais son mot à dire, les „♦IRP doivent être vigilants… Assurément, de nouvelles formes de ♦„syndicalisme sont à inventer, dans les entreprises, dans les branches du numérique („♦ESN, „♦télécoms…), dans une introuvable „♦filière du numérique. Demain, va-t-on voir se développer un « e-syndicalisme », lié à de nouvelles formes d’„♦expression des salariés, et où les sympathisants deviendraient des „♦followers ? Tout cela est en débat. Tout cela se passe devant nous.

Espérons que cet ouvrage ne contribue pas à votre ♦„infobésité ni ne participe au syndrome „♦Fear of missing out (FOMO)... Mais bien qu’il vous donne quelques clés pour comprendre ces changements ! Bonne lecture de ce guide, en version papier ou depuis vos tablettes et autres écrans !

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Préface

par Vanessa Jereb, secrétaire nationale Emploi-Économie Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) La transformation numérique est aussi une transformation de notre modèle syndical ! Le numérique est créateur d’emplois porteurs d’innovations. S’en saisir est impératif pour que la France soit partie prenante de ce nouveau modèle économique et social mondialisé. Pour autant, établir les parts respectives des destructions, transformations et créations nettes d’emplois s’impose pour l’UNSA. La transformation numérique pose la question de la qualité de nos infrastructures, de l’accessibilité aux réseaux mais aussi aux outils, de la protection des données et des personnes. La question de l’évolution des rapports humains interroge à tous les niveaux : celui de la sphère personnelle, celui des relations professionnelles aussi, où la relation au travail change et les emplois se transforment rapidement, nécessitant d’intensifier l’effort de formation pour suivre le rythme soutenu induit. De nouvelles formes d’emplois se développent hors du salariat excluant ces travailleurs de notre système de protection sociale (sécurité sociale, assurance chômage) et du droit à la formation. Audelà, les pratiques numériques posent des questions de santé et de conditions de travail (droit à la déconnexion, télétravail). Le dialogue social est l’outil incontournable pour anticiper et accompagner l’évolution des emplois et la relation au travail dans la société numérique, afin d’apporter un cadre réglementaire protecteur. Le numérique pose aussi la question de la maîtrise des outils et du traitement d’une information dont la rapidité ne garantit pas la pertinence. Vecteur d’information et de communication, internet est aussi un outil d’organisation. Parce qu’il peut le meilleur comme le pire, sa place dans notre système démocratique interroge, renouvelant le débat sur les relations entre démocratie directe et démocratie représentative. Le syndicalisme doit s’emparer pleinement des outils numériques pour en exploiter les capacités, pour lui-même (facilité de partage et de diffusion) comme pour les travailleurs qu’il doit défendre (outil de contact et d’organisation). Blogs, Facebook, site internet, tweet, pétitions ou campagnes numériques, sont les outils complémentaires de notre développement, de l’échange et de la diffusion de nos revendications et positions. Le numérique pose donc un grand nombre de questions. L’UNSA s’en est saisie dans le cadre de ses réflexions pour anticiper l'évolution des emplois et de la formation, l'évolution des formes d'emplois, de la relation au travail, des conditions de travail et de santé, sur les impacts sur le droit du travail, sur le modèle économique et social et, enfin, sur l'évolution du modèle syndical.

Le colloque que nous avons organisé au CESE, le 3 mai 2016, sur le thème « Le numérique peut-il se passer du dialogue social ? », a pour objectif de nourrir notre réflexion. Ce guide, créé par ORSEU, a vocation à éclairer les militants sur les conséquences de la transformation numérique sur nos environnements de travail et syndical. Mis en ligne sur les sites www.petitguidedunumerique.fr, www.orseu.com et www.unsa.org, il sera enrichi au fil de nos réflexions. Bonne lecture !

  1. Autonomie dans le travail Le numérique rend-il les travailleurs plus autonomes ? L’autonomie est une dimension essentielle du rapport au travail. Développer les marges de manœuvre des travailleurs permet d’enrichir le contenu de l’activité, de les faire monter en compétences. Toutefois, conférer trop d’autonomie à un salarié sans lui donner les moyens pour bien réaliser sa tâche peut mettre ce dernier en difficulté. Réduire l’autonomie, que ce soit par des délais, des procédures strictes à respecter, des objectifs chiffrés, conduit également à mettre le travail sous tension. Les technologies numériques renforcent le contrôle du travail ou des résultats. Le numérique permet de suivre en temps réel la productivité, les horaires mais aussi la qualité. Il n’y a pas que le manager qui surveille l’activité : les collègues mais aussi les clients exercent désormais leur droit de regard plus facilement ! D’où une pression et plus d’exigences pour le salarié. 35 % des salariés déclaraient un rythme de travail imposé par un contrôle ou un suivi informatisé dans l’enquête Conditions de travail de 2013, contre 30% en 2005. Dans le commerce, les transports ou l’industrie, cette part monte à plus de 42 %. On constate également une modification des formes de contrôle. A l’évaluation des résultats (chiffre d’affaires, production industrielle) s’ajoute une évaluation des moyens mis en œuvre (nombre de rendez-vous pris pour un commercial, durée des appels téléphoniques, etc.). C’est surtout dans le domaine des services que l’utilisation croissante de l’informatique a « favorisé la mise en œuvre de nouvelles formes de rationalisation », selon le rapport de France Stratégie consacré à l’impact des TIC sur les conditions de travail. Les visiteurs médicaux ou les conseillers bancaires doivent remplir des batteries d’indicateurs concernant leurs rendezvous. La plupart s’agacent de ce qu’ils ressentent comme un manque de confiance dans leur travail. Sans compter le temps passé à remplir ces tableaux statistiques, qui est du temps pris sur le « vrai » travail. Cela risque de réduire l’engagement dans le travail. Le personnel hospitalier passe également de plus en plus de temps à remplir des données informatiques, ce qui répond à d’autres soucis (dossier patient, tarification). Vous avez dit autonomie ? Le rapport de France Stratégie recense différents risques liés au souci de rationalisation du travail. Ce souci n’est pas négatif en soi. Le problème survient quand cela vient trop diminuer les marges de manœuvre des salariés : une obligation de suivre un processus modélisé, même si celui n’est pas adapté à chaque situation particulière rencontrée dans la réalité ; des outils qui sont pensés par leurs concepteurs comme simplifiant le travail, alors que les salariés doivent passer par différentes « astuces » pour pallier les dysfonctionnements rencontrés (ressaisir les données par exemple) ; des bugs divers et variés ; une multiplication des injonctions contradictoires, étant donné les multiples procédures et objectifs ; une perte de sens du travail quand les outils réduisent complètement l’autonomie du salarié, comme dans le cas du voice picking où il est attendu de l’individu qu’il suive à la lettre les instructions d’un robot. Pett guide du nuérique

Certains outils informatiques de type PGI (progiciel de gestion intégré) ou workflow conduisent ainsi à un accroissement du contrôle. Ils sont le plus souvent utilisés dans des entreprises recourant à un management quantitatif, basé sur une application stricte de procédures de travail. Dans ces entreprises, la prescription du travail est forte, c'est-à-dire que le salarié doit suivre des instructions précises. A l’inverse, d’autres outils informatiques comme tor et le darknet peuvent conduire à un accroissement de l’autonomie, dans le cadre d’organisations du travail plus décentralisées ou basées sur l’autonomie des salariés. Les travailleurs ont des objectifs mais peuvent choisir quels moyens suivre pour les atteindre. Il est incontestable que le développement des ordinateurs portables, des smartphones, l’amélioration des connexions wifi, a contribué à augmenter les marges de manœuvre de certains salariés, disposant déjà de latitudes dans le travail. Le numérique augmente le nombre de travailleurs « nomades », qui passent au moins un quart de leur temps de travail dans un autre espace que leur lieu traditionnel de travail ou leur bureau. Ils seraient au moins 25% aujourd’hui, contre 5 % il y a dix ans (chiffrés cités par le CNNum). Plus d’autonomie, certes, mais cette autonomie est-elle « émancipatrice », comme se le demande justement le Conseil national du numérique dans son rapport remis en 2016 à la Ministre du travail ? Seuls certains salariés ont plus de facilités et de ressources pour être autonomes dans le monde numérique, et donc pour voir leurs conditions de travail améliorées. Bref, tout est question de management. Les managers ont le choix d’utiliser les outils numériques pour renforcer l’autonomie des salariés ou bien la réduire. La fascination contemporaine pour les dispositifs de contrôle du salariat est accrue par ces outils numériques qui permettent de planifier le travail à distance. Faut-il accuser l’outil ou le management ? A ce tableau indécis concernant l’impact du numérique sur l’autonomie des salariés, il faudrait aussi ajouter la question des non-salariés « ubérisés ». Quelle est l’autonomie (et, inversement, la subordination) des chauffeurs d’Uber, que le client commande à distance via une plateforme numérique ? Beaucoup de réponses au débat actuel sur la régulation de leur statut tiennent en effet à cette question.

  1. BDES Toute l’information de mon entreprise sur mon PC : une chimère ? Avec la BDES (Base de données économiques et sociales), les représentants du personnel allaient d’un seul coup être télétransportés dans l’âge numérique de l’information-consultation. Instituée par la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, la BDES doit rassembler et mettre à disposition des représentants du personnel, les informations relatives aux grandes orientations économiques et sociales de l’entreprise. « La base de données est tenue à la disposition des personnes mentionnées (…) sur un support informatique ou papier » dit le décret ; celle-ci est censée être actualisée en temps réel, ou presque. Le développement d’un outil numérique, alimenté par la direction de l’entreprise, utilisé de façon récurrente par les IRP, et conçu comme un support convivial et moderne pour ces derniers : tout cela tient beaucoup de la chimère. Au mieux, les BDES observées tiennent de la collection de fichiers PDF. Des « solutions » informatiques avancées existent, mais sont encore peu déployées. Dans les faits, on est encore très loin du Wikipédia du CE ou du Google de la DUP ! D’un clic, tout savoir sur votre entreprise et sur ses comptes d’hier, d’aujourd’hui… et de demain ! Le rêve d’une transparence parfaite, les petits secrets de votre executive board ou de votre Codir à portée de souris ! Evidemment, cela ne se passe pas comme ça. L’information-consultation est un jeu du chat et de la… souris justement. Les IRP obtiennent autant d’informations que la direction veut bien leur en donner, que ce soit sur papier glacé ou sous codage digital. Les concepteurs de la BDES ont même cru que l’entreprise allait pouvoir donner, outre les informations sur le passé récent, des chiffres (ou a minima des « tendances ») sur les trois prochaines années. Dans le monde du virtuel, tout est possible. La BDES reste toutefois un levier d’action et de connaissance pour les représentants du personnel. L’outil peut être développé pour un usage stratégique dans le rapport de force et la négociation avec l’employeur : plus on en sait – et plus on sait traiter cette information – plus on est en mesure d’agir. On peut imaginer qu’avec le temps et les usages, des interfaces complètes se dessinent. Mais ce n’est pas parce que l’outil est dématérialisé qu’il est intéressant en soi, c’est parce qu’il donne matière à agir qu’il fait sens.

  2. Big Data La donnée, le nouvel or noir du troisième millénaire Entreprises, institutions, journalistes, citoyens, syndicalistes… nous utilisons tous chaque jour quantité de données pour notre vie personnelle ou professionnelle. L’économie numérique correspond à la mise en forme de ces données sous un format particulier [Numérique (technologie)]. L’expression « Big Data » renvoie quant à elle à deux éléments liés : d’un côté, l’explosion du volume des données disponibles ; de l’autre, la capacité croissante des moyens technologiques disponibles pour les traiter et les analyser. On connaît la fameuse « loi de Moore », qui prédit que tous les 18 à 24 mois, la capacité et la performance des ordinateurs doublent. La croissance du volume des données (on parle de « big bang ») est au cœur de l’économie contemporaine. Certains considèrent la donnée comme le nouvel « or noir ». L’« économie des données personnelles » repose alors sur l’extraction et l’utilisation de cette matière première, comme c’était le cas avec le pétrole lors de la deuxième révolution industrielle ! Le ministère de l’économie a placé les données au cœur de ses projets-phares pour une industrie du futur. L’enjeu : créer de la valeur ajoutée à partir de la quantité inédite de données dont nous disposons. La France disposerait ainsi d’un « gisement de valeur pour les citoyens et un potentiel de croissance encore sous-exploité pour les entreprises ». Elle peut compter sur des acteurs industriels solides et une longue tradition d’excellence mathématique. En développant et maîtrisant de nouvelles technologie de traitement de ces données (« supercalculateurs »), le Big Data pourrait permettre de créer et consolider 137.000 emplois d’ici 2020, selon Bercy. Ces data ne tombent pas du ciel. Nous les produisons chaque jour, depuis nos tablettes, smartphones et autres objets connectés. Selon un rapport, nous produisons chaque minute et à l’échelle mondiale 350 000 tweets, 15 millions de SMS, 200 millions de mails. 250 Giga-octets d’informations sont archivés sur Facebook. Tous les jours, traite plus de 24 millions de milliards d’octets. Quand vous réalisez un achat en ligne, commentez le dernier film sur Allocine.fr ou quand vous programmez à distance le thermostat de votre appartement, vous participez à cette production gigantesque de données… sans vous en rendre vraiment compte, avouez-le. « A l’insu de notre plein gré » : nous sommes tous les Richard Virenque du Big Data. En revanche cela ne se fait pas à l’insu des entreprises du numérique (GAFA et autres) mais aussi des entreprises traditionnelles qui ont vu leur modèle d’affaires bouleversé par ces nouvelles technologies (business model). Un exemple parlant : les assureurs revoient leurs prévisions d’accidentologie en se basant désormais sur les pratiques réelles. Capteurs, systèmes embarqués, transmettent les données de conduite et de kilométrage en temps réel. Les Big Data ouvrent la voie à une myriade d’applications. Dans le domaine énergétique, il est possible d’imaginer des smart cities ou des smart buildings (villes ou bâtiments intelligents) disposant d’outils de collectes de données sur les usages. Cela permet de personnaliser la consommation des usagers. L’analyse de ces mégadonnées permet aux opérateurs d'énergie de mieux appréhender les besoins. La montée en puissance des Big Data a récemment été illustrée par un exemple très commenté. Google s’était targué, en 2008, de prédire la propagation d’une épidémie de grippe avec plus de d’exactitude que les organismes de recherche médicale et épidémiologique. L’entreprise s’appuyait sur son logiciel Google Flu Trends, qui réalise ses prévisions à partir des mots tapés par les internautes dans le moteur de recherche. Google a constaté que la grippe se développait là où le mot « fièvre » était plus googlé qu’en temps habituel. Sauf que ces prévisions « numériques » surestiment

au final l’étendue réelle de l’épidémie, constatée sur le terrain par les médecins. D’un côté, les Big Data virtuelles et leurs algorithmes, de l’autre, les data réelles : fièvre, suées et big fatigue… Les Big Data restent un enjeu massif pour les entreprises. Comment capter ce minerai précieux produit gratuitement par des milliards d’usagers ? La fièvre de l’or noir n’en est qu’à ses débuts…

  1. Bug Un insecte* au cœur de la machine Vous avez peut-être oublié le fameux bug informatique de l’an 2000… qui n’a pas eu lieu. En revanche, vous êtes plus probablement confronté quotidiennement à d’innombrables sortes de bugs avec vos outils numériques. Les bugs provoquent généralement de l’irritation dans le travail – c’est aussi pourquoi se développe la notion d’« irritants » dans le lexique managérial pour qualifier tous ces petits problèmes, parfois laissés en suspens, parfois récurrents, venant perturber l’activité. Une informatique désuète peut provoquer ces bugs, ainsi que des logiciels pas au point, trop lourds ou obsolètes. Comme le disent en plaisantant les informaticiens : « Ce n’est pas un bug, c’est une fonctionnalité non documentée ! » Parler d’ « irritants » est donc tentant, mais ce terme isole souvent le problème purement technique des dysfonctionnements plus organisationnels. Quand le logiciel ne fonctionne pas, est-ce uniquement en raison du produit, ou bien parce que l’entreprise cherche à réduire ses coûts au maximum en passant par des stratégies d’externalisation des services informatiques ? Ou encore parce que les concepteurs du software n’ont pas pris la peine d’observer le travail réel et de consulter les premiers intéressés : les salariés qui vont utiliser l’outil ? Dans une entreprise de la pharmacie, l’informatique est désormais complètement « outsourcée » à l’étranger. Résultat : des problèmes récurrents pour les utilisateurs. « Ça n’avance pas, il n’y a pas de compréhension des besoins » peut-on y entendre. « En cumulant le temps passé avec la plateforme informatique, on compte 2 heures et le problème n’est pas réglé ! » L’outsourcing des fonctions informatiques est un élément qui contraint les salariés dans la planification de leur travail (devoir recommencer une tâche, perte de temps) et entraîne de la charge de travail additionnelle. Ou comment le bug apparemment technique révèle en fait des dysfonctionnements plus organisationnels.
  1. Business model Ou modèle d’affaires. En quoi l’économie numérique transforme-t-elle les business models ? La numérisation de l’économie renvoie à la modification des modèles économiques des entreprises, pas simplement à la transformation de l’outil de travail voire à l’évolution des formes de travail (télétravail, etc.) et d’emploi (ubérisation, crowdworking, etc.). Les entreprises traditionnelles doivent repenser leur modèle d’affaires pendant que dans le même temps, des start-ups créent de tout nouveaux business models qui remettent en cause nos façons de penser et de produire. Dans le premier cas, celui de l’évolution des modèles d’affaires traditionnels, un bon exemple serait celui de la banque. Les outils de travail ont depuis longtemps été numérisés avec un impact fort sur les métiers. Le traitement des chèques ne se fait plus manuellement depuis longtemps ! Mais la numérisation porte bien au-delà : tout le modèle d’affaires des banques évolue avec le développement des banques en ligne. Certaines banques de détail prévoient ainsi de réduire d’un quart le nombre des agences et le déploiement d’une nouvelle stratégie de banque en ligne. Demain, c’est l’intelligence artificielle qui va venir modifier la nature du service bancaire ! Les métiers évoluent et disparaissent, non seulement en raison de la propagation de ces outils numériques et de l’informatisation des tâches, mais aussi en raison des nouvelles stratégies économiques liées à des nouveaux usages par les consommateurs. Dans le cas de la banque en ligne, certains consommateurs ont en effet une préférence pour une connexion à distance, permise par les nouveaux outils de communication, pour plus de réactivité et moins d’intermédiaires, etc. Le consommateur devient « consommacteur » : en réalisant lui-même ses ordres de virement, il réalise une tâche qui était auparavant réalisée par un conseiller bancaire ! Le numérique empresse ainsi les entreprises de repenser leurs modèles d’affaires en lien avec ces nouveaux usages. C’est, aussi, l’entreprise automobile qui cherche à développer de nouveaux services plutôt que de créer de nouveaux produits industriels. C’est l’ancienne entreprise industrielle informatique qui se repositionne dans le segment de la création de films en « 3D ». De plus en plus souvent, le consommateur vient révolutionner les façons de produire. Se créent alors des nouveaux business models complètement innovants par rapport à l’économie classique. Ce sont par exemple de nouveaux systèmes de collecte d’argent qui échappent aux banques traditionnelles (FinTech). C’est ce que des auteurs appellent le pouvoir de la « multitude » : celui de passer outre les entreprises installées pour créer une nouvelle économie fondée sur les besoins et les usages. C’est par ce biais – complètement enraciné dans la révolution numérique – que de nouveaux business models sont mis au point par des start-ups agissant selon le principe de la disruption. Partir des usages, cela signifie élaborer de nouveaux produits et services centrés sur les personnes. Une approche « human centric » : on parle d’abord d’utilisateurs avant de parler de clients. Auparavant, l’individu était localisé dans la sphère de la consommation ; il achetait passivement les biens et services que la sphère industrielle concevait pour lui. Désormais, les individus créent de la valeur directement, selon Nicolas Colin, « en produisant eux-mêmes des biens ou des services, (…) en mettant à disposition des ressources inutilisées dans le cadre de l’économie collaborative, devenant tour à tour hôteliers avec Airbnb, chauffeurs avec BlaBlaCar, banquiers avec Lending Club ou producteurs d’électricité avec SolarCity ». Ils pallient directement à des insatisfactions vécues en tant que clients (avec l’hôtellerie classique, avec les maisons de disques, avec les banques…). L’économie collaborative et la mise en relation directe entre l’entreprise et la multitude (plateformes) fondent un nouveau modèle de captation de valeur et donc de nouveaux modèles d’affaires. Dans l’ancien modèle, les entreprises concevaient en amont un produit dont elles espéraient qu’il sera consommé par une masse de consommateur. Dans ce nouveau modèle, ce qui change est que le « désir de créer, de communiquer et de partager n’a jamais rencontré autant de possibilités de passer à l’acte » (N. Colin, H. Verdier). Le lien en aval entre les entreprises et les utilisateurs crée la pression sur toute la chaîne de production. « Le principal défi, pour les entreprises, écrit N. Colin, devient la personnalisation à grande échelle. » Si on ne satisfait pas la multitude des consommateurs « avec des produits plus abondants, moins chers, innovants, personnalisés, alors elle n’hésite pas à passer de l’autre côté du comptoir et à se servir sans demander la permission. » Comme l’écrivent les auteurs du livre Bienvenue dans le Capitalisme 3.0, au chapitre « Vive le gratuit, à bas les intermédiaires ! », « après avoir passé plusieurs décennies sous le joug du marketing de masse, obéissant au diktat des marques sans avoir son mot à dire, le consommateur reprend le pouvoir, et change les règles du jeu ». Consommateurs de Blablacar, d’Airbnb et du prochain service « disruptif », vous venez sans le savoir ou presque de révolutionner le business model de nos vieilles entreprises du siècle dernier !

  2. Collectif de travail Le numérique réduit-il les collectifs de travail ou oblige-t-il à les repenser différemment ? Si les technologies du numérique ont un effet sur les collectifs de travail, c’est principalement par l’usage que les organisations et les travailleurs en font. Selon le chercheur Damien Cru, un collectif de travail nécessite la présence simultanée de plusieurs travailleurs, une œuvre commune, un langage commun, des règles de métiers, un respect durable de la règle par chacun. Cette définition décrit bien le collectif de travail dit « traditionnel », le plus répandu en France celui que l’on retrouve dans les grandes entreprises très structurées par une culture hiérarchique. Dans cette forme de collectif de travail, l’action de l’individu est gouvernée par l’intérêt collectif de son groupe et les rôles sont fortement prescrits. A l’opposé de cette culture collective, se trouve une culture plus individualiste. Cette culture produit des collectifs de travail qui peuvent être « multiformes, multidisciplinaires, trans-hiérarchique et dépasser les frontières de l’entreprise ». Il va par exemple s’agir de groupes « projet ». La coopération y est importante car elle permet l’atteinte d’un objectif. Dans ces groupes, le management prend avant tout un rôle d’animation, voir de « coach », selon les papes du management « agile » (management). Les rôles de chacun sont construits plutôt que prescrits et l’autonomie y est élevée. Chacun de ces collectifs développe un usage différent des TIC, comme le montre le rapport de France Stratégie (de 2012) consacré à l’impact du numérique sur les conditions de travail. Pour le collectif dit traditionnel, les TIC utilisés sont principalement des systèmes centralisés et des messageries. L’introduction des TIC peut alors bouleverser les règles du collectif voire transformer le travail. C’est particulièrement le cas lorsqu’on introduit un ERP ou progiciel de gestion. L’arrivée des TIC dans ces grandes entreprises a tendance à renforcer l’individualisation du travail et à remettre en cause la solidarité et l’entraide, valeurs fondamentales de ces collectifs. Pour les collectifs individualistes, l’impact du numérique est bien différent, pour la bonne raison que ceux-ci sont déjà en partie construits autour des TIC ! Les individualistes utilisent des outils de communication et de collaboration participatifs (réseaux sociaux, forums …) ainsi que des logiciels de gestions de projets. Ces outils leur permettent de participer à plusieurs projets simultanément et de valoriser leurs compétences auprès de divers collectifs. Très autonomes dans leur travail, ces travailleurs s’engagent également plus fortement et les frontières entre vie privée et vie professionnelle sont floues. De plus la flexibilité et la précarité y sont plus importantes. Autant de risques en termes de santé au travail pour ces travailleurs en phase avec l’époque numérique. Dans des cas extrêmes, certaines organisations du travail vont utiliser le numérique pour restreindre fortement l’autonomie au travail et empêcher la production d’un collectif producteur de règles communes. Il s’agira le plus souvent d’entreprises prises dans des chaînes de sous-traitance où toute la relation de travail est prescrite par un extérieur invisible. Les TIC amplifient les facteurs de risque pour la santé des salariés en encadrant complètement leur travail. Les transporteurs routiers suivis par géolocalisation, les salariés des plateformes informatiques, ou encore les préparateurs de commandes qui doivent utiliser des systèmes à commande vocale (voice picking) sont particulièrement touchés. Cette culture qualifiée « de subordination » est favorisée par le contexte économique et organisationnel. Les collectifs « traditionnels », de leur côté, sont fragilisés par les transformations du travail – et le rapport de France Stratégie ne parlait pas encore d’ubérisation ! Il y a un risque croissant d’exclusion des salariés mis à l’écart des évolutions technologiques. L’effet des TIC est donc ambivalent : il permet dans certains cas de créer de l’entraide et dans d’autres il réduit le soutien social. Les outils numériques ne sont pas responsables des choix organisationnels mais ils peuvent parfois en amplifier les effets.

  3. Convergence numérique L’intégration verticale, le retour! Vos vieux cours de microéconomie ou de stratégie d’entreprise parlaient d’intégration verticale, c’est-à-dire le fait pour une entreprise de se développer en amont (production) ou en aval (distribution) de la chaîne de valeur. Une agence de voyage va par exemple développer ses propres clubs de vacances. Dans l’économie numérique, vos MOOCs (éducation) parlent désormais de « convergence numérique » voire mieux, de « Full Stack » : envahir un secteur à partir d’un logiciel ou d’une application ! « Il y a dix ans, notent P. Escande et S. Cassini dans Bienvenue dans le capitalisme 3.0, Uber se serait contenté de vendre sa plateforme de mise en relation et de calcul de prix à de sociétés de taxis ou de VTC. Aujourd’hui, il veut les concurrencer ». Stratégie de l’empilement (stack, en anglais) : plutôt qu’un positionnement de niche, une volonté de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur. Quelques exemples américains : une start-up de batteries électriques qui se lance dans la production de ses propres véhicules ; un éditeur de supports éducatifs collaboratifs qui ouvre des écoles sous sa marque ; un distributeur de vidéos en ligne (Netflix) qui produit ses propres séries. Une différence avec l’intégration verticale de papa : l’intégration est conçue d’entrée, dès la création de la start-up, et non à une étape ultérieure du développement de l’entreprise. Nouvelles modalités de production et de commercialisation, nouveaux business models. De son côté, l’expression de « convergence numérique » renvoie historiquement au phénomène de convergence entre le secteur des télécommunications et d’autres secteurs devenus connexes comme l’informatique ou l’audiovisuel. Les « couches » étaient séparées, désormais chaque couche intervient sur l’ensemble des autres domaines. Les producteurs de tuyaux investissent dans les contenus ; les producteurs de contenus développent leurs propres tuyaux. Orange crée une chaîne de télévision ; Apple fabrique à la fois des produits et des services de contenus, avec une stratégie d’enchaînement ou d’enfermement propriétaire (impossible d’utiliser son iPhone sans passer par iTunes) inégalée.

  4. Disruption La formule magique : « dis-rup-tez! » La « disruption » est devenue la tarte à la crème de l’innovation et de la stratégie d’entreprise. Qui ne veut pas « disrupter » le marché aujourd’hui ? Clayton Christensen, professeur à Harvard, a popularisé le terme d’« innovation disruptive » à la fin des années 1990. Pour lui, « l'innovation disruptive, c’est avant tout une façon de définir le processus de transformation d'un marché. Elle se manifeste par un accès massif et simple à des produits et services auparavant peu accessibles ou coûteux. La disruption change un marché non pas avec un meilleur produit – c'est le rôle de l'innovation pure –, mais en l'ouvrant au plus grand nombre. » Il ne s’agit pas non plus d’innovation incrémentale, c'est-à-dire augmenter la qualité d’un produit existant. Bref, il s’agit de bouleverser un marché en s’appuyant sur la multitude d’usagers qui vont potentiellement s’en emparer. Uber, à la base une société informatique, a bouleversé les usages de réservation d’un véhicule avec chauffeur sur la base d’une simple application. Partout où l’on peut dématérialiser certaines activités et créer des plateformes directes entre acteurs, il y a de la place pour ces formes d’innovation. On n’en est donc qu’au début de la disruption ! Vision optimiste de l’auteur : s’il y a menace sur l’emploi, ce n’est pas parce qu’on disrupte trop, c’est qu’on ne disrupte pas assez… « La disruption permet de faire émerger de nouveaux modèles et crée des marchés plus vastes en rendant moins chers et plus accessibles des produits et des services là où il y a des rentes de situation ou des oligopoles non transparents. » Jean-Marie Dru, aujourd’hui Président non exécutif du groupe de communication américain TBWA, est réputé avoir inventé ce terme de disruption dans les années 1980 (et l’a même déposé en tant que marque dans 36 pays !) avant que Christensen ne parle d’innovation disruptive. Pour lui, les disruptions ou créations de rupture ne se limitent pas aux start-ups du numérique. La vieille industrie peut elle aussi faire de la vraie disruption ! Les boissons énergétiques Red Bull ou les plumeaux attrape-poussière Swiffer seraient ainsi des innovations disruptives. Comme l’indique le titre de son dernier ouvrage, il s’agit de « briser les conventions et redessiner le marché ». On peut être briseur de conventions sous bien des angles : ouverture du marché, stratégie de prix, business model, utilisation des données, service ajouté, etc. Mais il faut une stratégie. « Ce n’est pas parce qu’ils ont nommé un Directeur de l’Innovation… que leur société va devenir innovante ! », plaisante la journaliste Dominique Nora. Et vous, amis syndicalistes et représentants du personnel, quelle est votre stratégie de disruption ?

  5. Droit à la déconnexion Face à l'hyper-connectivité, comment organiser le droit à la déconnexion ? Les nouveaux outils de communication dits nomades sont un vrai casse-tête pour employeurs et salariés, remettant en cause, derrière un aspect pratique et efficace, la frontière entre vie professionnelle et vie privée. Les salariés sont nombreux à travailler à la maison et en dehors de leurs heures de présence au bureau depuis qu’ils ont été équipés par leur entreprise d'outils numériques. Que ce soit par conscience professionnelle ou par pression, ce lien permanent avec le monde du travail grignote le temps consacré à la vie personnelle. Le développement du télétravail, même s’il est partiel, peut installer des habitudes. Devant les alertes des médecins du travail sur des situations de surmenage et les risques encourus pour la santé physique et mentale des salariés, l’employeur a une réelle responsabilité. Certaines entreprises ont déjà mis en place des dispositions au travers de négociations avec les organisations syndicales pour un véritable droit à la déconnexion. En avril 2014, la branche Syntec (ESN) a inscrit une « obligation de déconnexion des outils de communication à distance » dans son avenant à l’accord temps de travail. Cette obligation de déconnexion repose sur le salarié puisque l’employeur se doit simplement de prendre « les dispositions nécessaires afin que le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition » pendant son temps de repos. Le controversé projet de loi « Travail » ou loi El Khomri prévoit – dans un de ses rares points faisant consensus – que tous les salariés devraient bénéficier de ce droit à couper leur smartphone et autres outils numériques professionnels en dehors de leur journée de travail. Le texte du projet de loi renvoie à la négociation d’entreprise dans le domaine désormais consacré de la « qualité de vie au travail ». Les négociations QVT devront ainsi dès 2018, si la loi est entérinée, porter sur les « modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion ». L’objectif est « d’assurer le respect des temps de repos et de congés ». L’accord pourra par exemple, délimiter les périodes durant lesquelles les salariés n’envoient pas de courriels professionnels, ou instaurer un système qui ne permettra pas la réception de mails professionnels le dimanche, le soir à partir d’une certaine heure ou la nuit… Des bonnes pratiques existent déjà en matière d’encadrement du télétravail. Le management du travail à distance doit faire l’objet d’approches renouvelées. Employeur comme salariés doivent notamment réfléchir au développement de nouvelles compétences liées aux usages du numérique. Comme le note le rapport Mettling de 2015, « savoir se déconnecter au domicile est une compétence qui se construit à un niveau individuel […] mais qui a besoin d’être soutenue au niveau de l’entreprise ». En clair, il s'agit autant de sensibiliser les salariés que d'instaurer des règles contraignantes. Pour autant, il est encore fréquent que les managers s’autorisent des texto ou e-mails à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Certains cadres, de leur côté, oscillent entre peur de la hiérarchie et servitude volontaire aux TIC, comme le notent à la fois le sociologue critique JeanPierre Durand mais aussi l’APEC. C’est pourquoi il est nécessaire de sensibiliser l’ensemble des acteurs de l’entreprise et ce, quelle que soit la position hiérarchique qu’ils occupent. Notons que si les négociations n’aboutissent pas, l’employeur déterminera les modalités de ce droit à la déconnexion et devra les communiquer ensuite au personnel. Il n’est pas question pour lui de s’exonérer de toute responsabilité en sa qualité d’employeur quant à la préservation de la santé physique et mentale des salariés. Mais hélas nous devons arrêter là la rédaction de cet article en raison d’un appel urgent de notre patron sur notre portable.

  6. Economie collaborative Je te prête mon appartement, c’est collaboratif ; je le loue sur Airbnb, c’est de l’économie collaborative ? Qu’il s’agisse d’Airbnb, de Blablacar, d’Uber, ou de Wikipédia, les grandes figures de l’économie collaborative sont souvent présentées comme des références en termes d’innovation, de partage, voire de développement durable. Derrière les mots, il est toutefois difficile d’identifier à quelle réalité précise renvoie l’expression d’ « économie collaborative ». D’une part, il n’est pas aisé d’en mesurer son poids économique puisque l’économique collaborative échappe très largement à la statistique publique. D’autre part, la notion même constitue parfois ce qu’on appelle un « mot-valise », fourretout utilisé ici et là pour donner un look innovant à telle ou telle entreprise. Parmi les définitions communément admises figure celles proposées par Rachel Botsman. Selon elle, l’économie collaborative se définit comme « des réseaux d’individus et de communautés connectées, par opposition à des institutions centralisées, et qui transforment la manière dont nous produisons, consommons, finançons et apprenons ». Ainsi, l’activité économique relève de l’économie collaborative de par les modes de relations particulières qui opèrent entre les individus dans différents registres : la consommation collaborative (je covoiture avec Blablacar), la production collaborative (je partage mes savoirs via l’Open Source ou des Fab Lab…) le financement collaboratif (KissKiss BankBank) ou la « connaissance » collaborative (Wikipédia, MOOCs, etc.). Le rôle des plateformes numérique est au cœur du développement de ces économies collaboratives. Ce qui fonde l’économie collaborative, c’est donc le partage. La création de valeur est fondée sur la mutualisation des ressources (un bien, un espace, un outil, des ressources financières, etc.). D’où l’expression anglaise de Sharing Economy souvent utilisée pour faire référence à ces modes de production/consommation émergents. En ce sens la technologie numérique joue un rôle fondamental dans le développement de cette économie. Si le numérique n’a pas fait naître l’économie collaborative ni le partage, cette technologie a permis leur essor, notamment grâce aux plateformes d’échange. Le covoiturage entre voisins, amis ou membres de la famille a toujours existé, mais le numérique a démultiplié les possibilités en l’étendant à tout un chacun doté d’une connexion internet. En connectant ensemble une multitude d’individus, le numérique a finalement rendu possible le déploiement à plus grande échelle de dynamiques micro-localisées de partage et de mutualisation. Qu’est-ce qu’il y a d’économique alors dans tout cela ? D’un côté, on trouve des plateformes d’échange sans visée lucrative (Linux, Wikipédia, etc.), participant à la production d’un patrimoine collectif accessible à tous (contrairement à l’accroissement d’un capital détenu par certains). De l’autre, de vrais business se créent tous les jours mobilisant des producteurs-indépendants « à la carte » (par exemple dans le domaine de la livraison de repas à domicile, Take Eat Easy, etc. gig economy). Entre les deux, des nouveaux services d’intermédiation basés sur le partage d’un bien, par

exemple une voiture, sans but lucratif pour le chauffeur mais créateur de valeur pour les actionnaires (Blablacar), ou au contraire annonciateurs de nouvelles formes d’emplois (Uber). Le champ de l’économie collaborative est donc très large et renvoie à des mécanismes économiques fondamentalement différents. Et il est clair que pour de nombreuses plateformes d’intermédiation à visée lucrative, la dimension « collaborative » présente un caractère relativement limité. C’est souvent une affaire de maquillage, de look… Dans de nombreux business models se présentant comme de l’économie collaborative, le partage d’un bien par les individus apparaît plus comme un moyen de générer et de distribuer de la valeur monétaire selon des mécanismes traditionnels, qu’une fin en soi. Et lorsque cela génère un fort degré de marchandisation des relations entre les utilisateurs, le risque d’ubérisation pointe son nez. La principale « innovation » tient alors au fait que les formes traditionnelles de régulation de la mise au travail sont ébranlées par le succès d’un travail « à la carte », avec les effets délétères qui peuvent en découler en termes de protection sociale et de précarité. Plus ou moins conscients des évolutions constatées, les acteurs publics font cependant face à de réelles difficultés pour réguler ces activités. Comment éviter que le développement de services de type Uber Pop ne se fasse au détriment de la protection des droits des salariés (ubérisation) ? Comment organiser la concurrence entre des entreprises dont l’activité réalisée constitue un métier (hôtelier par exemple) et des individus louant leur logement à titre occasionnel ? A partir de quel moment peut-on considérer qu’une personne qui propose des voyages en covoiturage le fait dans une logique marchande ? A partir de quel moment considère-t-on qu’il s’agit de véritables revenus sujets aux impôts et taxes ordinaires ? Et tant d’autres questions ô combien épineuses. Un rapport sur l’économie collaborative, remis récemment au gouvernement par le député Pascal Terrasse, en a fait son sujet. Les propositions formulées tendent à permettre le développement de l’économie collaborative sous ces différentes formes actuelles – y compris les moins « collaboratives »… –, en essayant de garantir certaines exigences sociales : création d’un espace de notation des plateformes, renforcement de la protection sociale des indépendants, clarification de la doctrine de l’administration fiscale sur la distinction entre revenu et partage de frais, etc. On voit bien que dans cette perspective, quand bien même l’économie collaborative serait amenée à se développer fortement, cela ne devrait pas bouleverser en profondeur le système productif actuel.

  1. Education La tablette va-t-elle tuer le crayon ? C’est à peu de choses près le type de peurs qui se sont exprimées après que la Ministre de l’Education nationale a annoncé la distribution de 3,3 millions de tablettes numériques aux élèves de collège à l’horizon de la rentrée 2016. En tant qu’outil, la tablette peut permettre plus d’interactivité et favoriser certains apprentissages. Après tout, la craie et le tableau noir ne sont aussi que des outils au service d’une pédagogie (Tableau numérique interactif). « Faire entrer le numérique à l'école, c'est reprendre la main sur la façon dont les élèves l’utilisent aujourd'hui, souvent de manière complétement désordonnée » dit un prof qui voit les choses d’un bon œil. « Déjà trop d'écrans dans la vie des élèves ! », répond un autre enseignant : « l'un des objectifs de l'école est de faire découvrir des choses nouvelles aux élèves. » Le numérique à l’école, objet de toutes les craintes. Comme le résume le CNNum, d’un côté, internet comme « équivalent sympathique d'un cours qui apporte des réponses toutes faites à des questions qu'on lit à peine », de l’autre internet comme « complice » de nouvelles formes d’apprentissages et facteur de remotivation des élèves en difficulté. « Le numérique remobilise l'écrit sous des formes différentes, ses pratiques invitent à la discussion et l'expression personnelle ou collective, elles débouchent vite sur la publication qui peut être source de fierté… » Il est nécessaire aujourd’hui d’ouvrir les yeux sur les mutations en cours de l’offre d’éducation dans son ensemble. Alors que le système éducatif s’interroge sur l’utilisation de ces tablettes, le numérique vient révolutionner de fond en comble nos bonnes vieilles écoles. Jules Ferry, ubérisé ? En France, le créateur de Free, Xavier Niel, a créé une école du numérique (l’école 42) sans professeur, mais avec des « coachs », sans salle de classe mais avec des vastes open spaces faisant office de laboratoires. Les « Moocs » (massive open online course, cours de formation ouverte et à distance) proposent désormais aux étudiants du monde entier les cours des meilleures universités, de Harvard à HEC. À la fac, mais dans mon salon ! Pour les étudiants américains, cela réduit considérablement les frais d’inscription qui sélectionnent les plus riches. Les pays en développement accèdent à une masse de savoir grâce à ces Moocs. Plus de 400 millions de cours gratuits, partout, tout le temps ! C’est, selon l’enquête d’Emmanuel Davidenkoff, un véritable « tsunami numérique » qui est en train de déferler sur notre modèle éducatif. Pour l’auteur, le nouvel objectif de la Silicon Valley est ni plus ni moins de réinventer l’éducation. Pour le Conseil national du numérique, qui a publié un rapport intitulé Jules Ferry 3.0, les MOOCs « reprennent à leur compte la promesse non tenue de l’égalité d’accès à la connaissance. » Une des principales plateformes de cours en ligne s’appelle Coursera. Elle a été créée par l’université Stanford. Plus d’un million d’étudiants de 196 pays s’étaient inscrits à au moins un cours en 2012. Un « intermédiaire inoffensif », s’interrogent P. Escande et S. Cassini dans leur dernier ouvrage ? « Qu’en sera-t-il si un jour Coursera propose des cursus complets sur-mesure, panachant les cours de différentes universités pour s’adapter au mieux aux besoins du marché du travail et ce, à des prix défiant toute concurrence ? » Pour l’instant, les professeurs et pédagogues rappellent que rien ne remplace une salle de classe ou un amphi… « L’histoire n’est pas sans rappeler celle des hôteliers, ravalés au rang de simple fournisseurs de services, ponctionnés par des géants comme Booking.com ou Hotels.com, qui sont les seuls en mesure d’aller chercher et d’attirer le consommateur », dramatisent les auteurs. « Jeter un voile pudique sur les Moocs, faire comme si le numérique ne changeait rien, c’est prendre le risque de livrer l’éducation au monde du privé », concluent-ils.

Face à ce scénario pessimiste faisant de l’école publique la « voiture-balai » des écoles privées on-line, le rapport du CNNum préfère une vision plus optimiste s’appuyant sur la révolution numérique pour refonder l’égalité des chances et l’accès de chacun au savoir. Le rapport fait plusieurs propositions concernant les évolutions de l’enseignement à l’ère du numérique : enseigner l’informatique de la primaire au lycée, développer la littératie numérique, créer un bac « Humanités numériques », etc. Il invite aussi à dessiner un nouvel « écosystème éducatif » en mode ouvert et interactif avec les collectivités, les entreprises, les éditeurs de contenus, les parents, le monde de la recherche. Non pas le professeur robot ou informatisé, mais l’enseignant mis au cœur d’un vaste chantier « technique, créatif, imaginatif ». Quel sera l’école de nos enfants en 2025 ? Prenez une feuille blanche ou votre tablette, vous avez quatre heures.

  1. Ecologie Avez-vous une idée de ce que représentent nos clics quotidiens sur la toile et notre utilisation frénétique des nouvelles technologies ? « En choisissant la facture électronique, vous vous simplifiez la vie tout en minimisant votre impact sur l’environnement. » Voici ce que l’on peut lire sur l’enveloppe de certains fournisseurs d’eau ou d’accès à Internet. L’idée selon laquelle le numérique est plus écologique que le papier s’enracine de plus en plus dans les esprits. « Pensez à l’environnement, n’imprimez pas cet email ». Face aux tonnes de papier imprimées chaque jour, il apparaît tout naturel que le numérique, supposément dématérialisé, offre une alternative « propre », « verte », « économe en ressources ». Quitte à progressivement bannir le papier de nos environnements : lire ses romans sur une liseuse, ses courriers sur son téléphone, ses rapports sur son ordinateur… Selon l'Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’envoi des courriers électroniques d'une entreprise de 100 personnes représente chaque année 13,6 tonnes de CO2, soit 14 allers-retours Paris-New York. En réduisant de 10 % les e-mails internes, on économise l’impact écologique d’un aller-retour ! Certes, cet impact peut sembler dérisoire comparé à l'envoi par la Poste de ces mêmes messages, mais il prouve à quel point les équipements physiques qu’induit l’économie virtuelle consomment énormément d'énergie. En premier lieu les serveurs et centres de stockage de données par lesquels transitent ou se stockent les milliards de textes, d’emails, d’images et de vidéos circulant chaque jour sur la toile. « On estime qu’un data center moyen consomme autour de quatre mégawatts par heure, ce qui équivaut environ à la consommation de 3 000 foyers américains », explique Fabrice Flipo, co-auteur de La face cachée du numérique. « A l’échelle mondiale, les data centers représentent 1,5 % de la consommation électrique, soit l’équivalent de la production de 30 centrales nucléaires ». Il poursuit : « Avec l’essor spectaculaire du stockage en ligne, ces chiffres sont appelés à croître sans cesse. La production de données pourrait être multipliée par 50 dans le monde d’ici à 2020 ». La consommation électrique d'un data center s'apparente à la consommation en énergie d'une ville de 200 000 habitants. Il y a quelques années, un article avait fait grand bruit en estimant que chaque requête effectuée sur Google représentait une consommation de 7 grammes de CO2, soit autant que faire chauffer une

demi-bouilloire… Chiffres contestés par plusieurs scientifiques, y compris par le prétendu auteur de l’étude lui-même ! Pour Google, chaque requête consommerait 0,2 grammes de CO2. Au-delà du débat sur les chiffres, les dégâts sont bien réels ! Une analyse de cycle de vie réalisée par le groupe « EcoInfo » du CNRS, à la demande de l’entreprise Pocheco (fabriquant d’enveloppes), a comparé l’impact d’un courrier papier et l’envoi d’un courriel. Les résultats montrent à quel point cet impact dépend du comportement de l’utilisateur. Ainsi, sur un faisceau de dix facteurs (parmi lesquels on compte épuisement des ressources, destruction de la couche d’ozone, etc.), la facture numérique sera globalement moins dommageable si elle n’est jamais imprimée et si sa consultation en ligne dure moins de trente minutes (ce qui est fréquemment observé pour les relevés bancaires). Comme le note l’étude, « dès que la facture numérique est régulièrement imprimée (1 fois sur 3) son avantage environnemental sur la facture papier devient discutable ». Cela peut paraître étonnant. Et pourtant, si la facture papier est impactante par son impression et son acheminement, la facture numérique peut l’être tout autant par l’appareillage de son utilisateur (ordinateur, imprimante, box internet) et celle des fournisseurs d’accès (serveurs, centres de données), tant pour leur fabrication (matière première, énergie) que pour leur utilisation (énergie consommée pour l’envoi et le stockage des données). A lui seul, l’envoi du relevé de compte ou de la note de portable va suivre cinq étapes, toutes consommatrices d’énergie : création de la facture par le fournisseur de service, sauvegarde, création de l’email et envoi ; réception de l’email par le prestataire mail (Gmail, Orange, etc.) et consultation ; consultation de la facture sur le site du fournisseur de service (banque, opérateur web ou téléphone) ; téléchargement en PDF ; archivage sur l’ordinateur et/ou impression. L’ensemble de ces opérations ramenées à l’échelle d’un utilisateur unique aura engendré une consommation de 36,5 Wh. Sachant qu’avec 1000 Wh (un kilowattheure) il est possible de regarder la télévision de 3 à 5 heures, faire fonctionner un frigo pendant une journée, travailler une demijournée avec un ordinateur fixe, se chauffer pendant une heure en hiver et s’éclairer sept heures durant avec sept lampes basse consommation... Hic plus préoccupant côté numérique, les matières premières nécessaires à la fabrication des appareils – ordinateurs, liseuses et tablettes – (plastique, matériaux chimiques, lithium des batteries) ne sont généralement pas recyclées. Selon EcoInfo, si la phase d’usage des TIC ne représente environ que 10 % de la consommation d'électricité dans le monde, c’est la phase de fabrication qui est la plus polluante et qui concentrerait à elle seule plus de 80 % des impacts (épuisement des ressources, effet de serre, etc.). Précisons tout de même que les méthodes de calculs de l’empreinte écologique des nouvelles technologies suscitent de nombreux débats. Les grands opérateurs ou constructeurs rechignent souvent à diffuser leurs données et préfèrent produire eux-mêmes des études (sans regard indépendant) ayant tendance à minimiser leur impact. De plus, le champ des études est bien souvent obscur : il est par exemple difficile de savoir si la fabrication de tous les équipements servant à se connecter, si la mise en place du réseau ou si la fin de vie de l’équipement ont été pris en compte ou pas. Bienvenue dans un monde complexe… Alors ? Sobriété et bon sens semblent être les maîtres mots, quelle que soit la solution choisie. Quant à notre bon vieux papier traditionnel, il est loin d’être le plus polluant, comme il en a souvent été accusé. D’une part, la ressource papier peut être gérée durablement (tant pour la production qu’en matière de recyclage) bien plus facilement que la ressource informatique. En outre, en termes de conditions de travail, la lecture papier invite à la concentration et à la profondeur, contrairement à la lecture sur écran plus segmentée, fragmentée et discontinue.

  1. Emplois Le numérique détruit-il des emplois ? En crée-t-il de nouveaux ? Bonne question, merci de l’avoir posée ! Mais désolé, on n’a pas de réponse précise… Expliquonsnous. La question de l’impact des technologies sur l’emploi est ancienne en économie. La première vague d’informatisation, à la fin des années 1970-début 1980, donnait déjà lieu à des études concluant dans des sens radicalement opposés. Encore aujourd’hui, ce constat d’« indécidabilité » semble prévaloir, à l’heure de l’entrée dans ce qui est qualifié de nouvelle révolution industrielle. Ce que l’on sait, c’est qu’on ne sait pas, comme l’aurait dit Socrate ? Globalement, le numérique détruit certains emplois tandis qu’il contribue à en créer d’autres. D’un côté, moins de vendeurs de guichet, de l’autre, plus de concepteurs spécialisés dans le e-commerce. Difficile de faire une balance nette qui soit incontestée. Il est en revanche nécessaire de s’intéresser au sort de certains métiers et emplois. Dans ce contexte, les observatoires de branche ont par exemple un rôle fondamental à jouer. Une récente étude souvent reprise (Frey, Osborne, 2013) a ainsi analysé la probabilité d’automatisation ou d’informatisation (« computerisation »), en fonction du caractère répétitif des tâches (qu’elles soient manuelles ou cognitives) et des possibilités concrètes d’automatisation des activités. L’étude porte sur les 20 prochaines années aux Etats-Unis. Conclusion : 47 % des emplois ont une probabilité forte d’être automatisés, 19 % une probabilité moyenne et 33 % une probabilité faible. 70 activités ont été étudiées. Les récréothérapeutes sont les mieux protégés ! Avec eux, de nombreuses professions du soin et de l’attention aux autres, les chorégraphes et membres du clergé… mais aussi les pharmaciens, DRH, managers des ventes, architectes navals et de nombreux ingénieurs (probabilité inférieure ou égale à 1 %). A l’autre extrêmité, danger pour les experts en sinistre et assurances, réparateurs de montre, mais aussi top-modèles et arbitres de sport, avec des probabilités d’informatisation supérieures à 97 % ! Une étude française a utilisé la même méthode (contestable sur de nombreux aspects, selon le récent rapport du CNNum), et a montré que 42 % des emplois sont concernés à horizon 2025 : opticiens, secrétaire juridique, réparateur d’horloges, mécaniciens, conseiller fiscal, assistant médical... La liste n’est pas finie. Si vous faites plusieurs fois la même tâche chaque jour, comme le dit Daniel Cohen dans son dernier ouvrage, attendez-vous qu’elle finisse par être faite à votre place par des outils numériques… Ce même auteur insiste sur le fait que ce sont aujourd’hui les classes moyennes les premières visées, dans les banques, les assurances, les administrations. Au-delà de l’informatisation de certaines tâches, les progrès de l’intelligence artificielle viennent créer une menace encore plus forte sur ces métiers. En face de ces destructions, combien de créations d’emplois ? Ici aussi, les statistiques sont imprécises. Pour l’IGF, le numérique représenterait stricto sensu au moins 900 000 emplois aujourd’hui en France (dans les télécoms, les constructeurs d’électronique ou d’informatique, les entreprises de services numériques), et jusqu’à 1,5 million selon le cabinet McKinsey (soit 5,5 % du PIB, plus que l’agriculture et la finance). Mais les grandes entreprises du numérique embauchent trois fois moins de personnel que l’industrie automobile. Pour l’économiste américain Robert Gordon, nous sommes entrés dans une phase de « stagnation séculaire ». Comme le dit Daniel Cohen, « le progrès technique, c’est fini : à preuve la croissance ne cesse de décliner. Quand on dit ça, on passe évidemment à côté de la formidable transformation du monde. Mais le constat sur le ralentissement de la croissance, au moins pour la classe moyenne, est lui indiscutable. Ma conviction aujourd’hui, c’est que, oui, nous vivons une révolution industrielle, mais que son potentiel de traction de l’ensemble de la société est faible, à la différence de la précédente révolution indus-

trielle. » Pour Nicolas Colin, auteur du rapport La richesse des nations après la révolution numérique, difficile d’être optimiste : « Le problème est que la transition numérique ne peut, en l’état actuel du débat, être présentée comme un remède au chômage ». Dans cette perspective, on peut s’attendre à une « bipolarisation » du marché du travail sans créations massives d’emplois. D’un côté, des emplois qualifiés et protégés, dans les domaines du management ou de la créativité ; de l’autre, des emplois peu qualifiés mais non routiniers, faiblement rémunérés mais eux aussi relativement protégés de la numérisation, notamment dans les services aux personnes. Pour Nicolas Colin, de plus, divers emplois qui exigent aujourd’hui des qualifications, correspondront demain à des qualifications moins importantes, car ils s’appuieront sur le développement des technologies numériques : par exemple, « le technicien qui maintient les chaudières connectées à des infrastructures de cloud computing », « l’infirmière qui pratique un diagnostic en lieu et place du médecin en étant assistée par une application spécialisée », ou encore « le conseil juridique qui, sans être avocat, rédige des actes simples pour des clients en s’appuyant sur des outils et bases de données numériques ». Cela exige pour Colin la suppression de diverses barrières réglementaires (barrières à l’entrée dans certains métiers). Y a de l’ubérisation dans l’air ! Quant à lui, l’auteur de ces lignes, un automate nommé FARVNI36, vous remercie de votre lecture.

  1. ESN (ou SSII) Les Entreprises de services numériques, premier secteur de l’économie numérique en France Longtemps connues sous l’acronyme de SSII (société de services en ingénierie informatique) et désormais nommées ESN, les entreprises de services numériques sont la seule activité du « cœur » de l’économie numérique à créer des emplois alors que les deux autres secteurs identifiés (la fabrication de matériels informatiques, électroniques et optiques ; les télécoms) ont détruit des milliers d’emplois ces dernières années. Le secteur représente plus de 380 000 salariés en 2012 pour environ 43 000 entreprises. C’est un secteur atomisé, constitué de milliers de petites entreprises, même si on compte également plusieurs grandes entreprises françaises particulièrement compétitives sur leur segment de marché (Atos, Capgemini, Sopra Steria, Technicolor, Ubisoft, etc.). Du point de vue des relations professionnelles, les ESN appartiennent à la branche dite « Syntec », qui a de facto un périmètre très large, puisqu’elle inclut aussi les bureaux d’études, les cabinets de conseil, etc. Cette diversité de situations professionnelles entraîne une grande variété de thématiques à traiter dans les négociations de branche, ce qui peut conduire à des discussions et négociations complexes. Une problématique aujourd’hui centrale dans cette branche qui crée de l’emploi porte sur les conditions de travail : rythmes de travail élevés, fortes amplitudes horaires, niveau de stress important... Le travail en régie (mise à disposition d’un salarié d’une ESN pour une entreprise cliente selon un tarif journalier) soulève de multiples difficultés en termes de conditions de travail : difficultés d’intégration, course à la reconnaissance, ambiguïté de la double relation de travail, accès à la formation difficile, etc. Le secteur est de plus particulièrement concerné par les nouvelles formes de mobilisation de la main d’œuvre (mobilisation d’autoentrepreneurs, portage salarial, travail en régie, crowdworking, etc.) qui soulèvent des questions importantes pour les organisations syndicales : quelle indépendance, quel statut, quelle protection sociale pour ces travailleurs ? Le secteur est parfois considéré comme un laboratoire de nouvelles formes d’emplois, centrées autour de la figure du salarié « indépendant » ou free-lance, lequel serait mobilisable à la demande ou dans le cadre de contrats de travail repensés. Le consultant informatique free-lance représente ainsi autant ces nouvelles formes d’emploi qui se développent actuellement que le chauffeur de VTC relié à la plateforme Uber tant mentionné dans la presse. Pour le SPECIS-UNSA (Syndicat Professionnel d’Etudes, de Conseils, d’Ingénierie informatique et de Services), ce secteur des ESN représente bien un laboratoire de la « flexibilité 2.0 ». Le renforcement de la capacité d’action des syndicats et des représentants du personnel dans cette branche atomisée et plurielle est au final un enjeu majeur, dans un contexte où celle-ci fait figure d’incubateur des nouvelles formes d’emploi de demain.

  2. Expression des salariés Le numérique va-t-il favoriser la mise en place d’outils d’expression des salariés ? Depuis les lois Auroux de 1982, l’expression des salariés est le serpent de mer de la démocratie sociale. Le numérique va-t-il redonner sa place à ce droit des salariés, qui n’a en fait jamais réellement été mis en pratique ? Nombre d’initiatives ou d’expérimentation ont récemment conjugué cette vieille idée de l’expression des salariés avec les outils numériques : réseaux sociaux d’entreprise (Atos, Danone, Alcatel Lucent…), enquêtes Internet sur les conditions de travail (Total Survey, AG2R La Mondiale….), Comités d’Entreprise ou syndicats créant leur page Facebook, des blogs ou un portail numérique partagé (SFR, Siel Bleu, une entreprise de services informatiques dénommée Smile, etc. VOIR syndicalisme). Ce rapport direct avec les salariés peut aller de simples mesurettes de communication à de véritables projets participatifs communs. Les salariés peuvent mettre sur la table des visions alternatives, crédibles, par exemple dans des projets de réorganisation. D’une façon générale, ces outils d’expression sont très souvent à l’initiative des directions et se font en dehors de la négociation d’un accord sur les modalités d’expression des salariés. En ce début 2016, le débat autour du projet de loi El Khomri a fait par ailleurs resurgir le référendum comme une pratique qui permettrait la véritable expression des salariés… en dehors des modalités classiques de la négociation et de la représentation. Un cas est venu l’illustrer : celui de la FNAC, où plusieurs syndicats représentant plus de 50 % des salariés ont fait valoir leur refus d’un accord sur le travail le dimanche poussé par la direction et accepté par d’autres syndicats. En l’état des choses et du système de négociation sociale issu de la loi du 20 août 2008, ce n’est rien d’autre que la démocratie sociale qui s’exprime. Le recours au référendum permanent ne signerait-il pas la fin de ce système qui n’a même pas dix ans ? D’ailleurs, il ne faut pas confondre référendum et expression des salariés. A la main des directions, les référendums sont savamment organisés (et les questions savamment posées) pour limiter l’imprévu… L’expression des salariés, c’est encore autre chose. L’idée est de faire remonter directement l’expérience vécue du terrain. Les usages numériques favorisent cette réappropriation. Comment ne pas relever la pétition en ligne sur le fameux projet de loi « Travail » qui, avec plus d’un million deux cents mille signatures en mars 2016, s’est invitée dans le débat ? A côté de ces réappropriations-indignations, existent aussi des formes de réappropriation-propositions. « Le travail ça se discute ». De nombreux écrits de préventeurs, dans la lignée d’Yves Clot et de Vincent de Gaulejac, abondent dans ce sens. Que ce soit chez certains dirigeants ou syndicats, la prise de conscience se fait pour améliorer la qualité de vie au travail. La parole comme facteur de bien-être et de compétitivité : de nombreux travaux mettent cela en avant, en économie (l’entreprise comme lieu de coopération entre les personnes) ou en gestion (la fameuse entreprise libérée et autres apôtres du management collaboratif). Ces perspectives remettent au centre les questions de sens, de qualité et d’efficacité. La performance collective est bien plus que la somme des performances individuelles, nous dit l’économiste Olivier Favereau. Selon lui, l’entreprise n’est pas la propriété d’une seule personne ou de ses actionnaires, elle est « l’affaire d’hommes et des femmes qui s’y unissent pour travailler à un projet commun ». Quelles modalités d’expression de ces « parties prenantes » alors ? L’expression des salariés est un outil pour faire face aux difficultés et à la complexité des évolutions des entreprises et gagner en performance. Néanmoins, il ne faut pas ignorer que le retour de la thématique de l’expression des salariés se fait dans un contexte d’essoufflement des relations professionnelles et de défiance envers les institutions de la démocratie sociale. Les systèmes représenta-

tifs institués, aux prises avec un salariat devenu très composite, craignent d’être débordés à la fois par des directions qui voudraient faire sans eux – si ce n’est contre eux –, mais aussi par des salariés de plus en plus individualistes et de moins en moins appétents pour se syndiquer. Ces risques ne sont pas absents mais restent marginaux. On pourrait donc penser qu’il y a ici beaucoup plus de complémentarité que de concurrence. Que l’expression – bien encadrée – peut permettre, lorsque l’on s’en empare, un nouveau souffle de la délibération ou de la négociation en entreprise. Que le manque d’expression et de participation est bien plus coûteux pour la légitimité des institutions représentatives que l’inverse. Que l’initiative syndicale dans ce domaine, quand elle existe, peut être très porteuse. Le numérique peut aujourd’hui offrir un support à cette volonté d’expression. Attention toutefois pour le salarié trop hardi de bien mesurer ses propos, comme le rappelle la jurisprudence récente ! VOIR Facebook (ai-je le droit de dire du mal de mon patron sur)

  1. Facebook Ai-je le droit de dire du mal de mon patron sur Facebook ? Avec plus de 27 millions de membres actifs en France, difficile d’échapper à Facebook. Quelles sont les limites de son utilisation sur le lieu de travail ? Poster des photos, des critiques ou tout autre commentaires peut exposer un salarié à des répercussions inattendues, voire même à des sanctions disciplinaires… Les cabinets de recrutement utilisent cet outil pour sélectionner des candidats, certains de vos collègues (et prétendument « amis » sur Facebook) pourraient ébruiter certaines critiques de l’entreprise que vous laissez sur votre mur… C’est aussi c’est un moyen de géolocalisation qui peut mettre dans l’embarras... Evitez de poster des photos de vacances si vous êtes en arrêt-maladie ou si vous recherchez un emploi ! Cette façon de récolter les informations sur les internautes et de les utiliser peut conduire à se poser une question : l’employeur peut-il licencier un salarié en s’appuyant sur des informations ou photos recueillies sur Facebook ? Ainsi, certains salariés un peu énervés se défoulent sur Facebook sans être conscient du fait qu’une fois postés, leurs propos un peu « amers » peuvent leur créer de sérieux ennuis… Que risque le salarié qui dénigre son employeur sur Facebook ? Deux possibilités selon que les propos postés restent dans une sphère privée ou non. L’arrêt Nikon en 2001 a posé le principe du droit au respect de la vie privée du salarié sur son lieu de travail. L’employeur ne peut pas utiliser n’importe quelle preuve pour démontrer la faute d’un salarié et, notamment, ne peut utiliser des faits relevant de la vie privée du salarié. En matière d’abus de la liberté d’expression du salarié, ce principe suppose que les propos, diffamants ou injurieux, aient un caractère public pour justifier la faute et le licenciement d’un salarié. Cependant, le principe de loyauté de la preuve doit être respecté. Par principe, un fait de la vie privée ne peut jamais faire l'objet d'une sanction. Toutefois, les faits de la vie personnelle peuvent être sanctionnés par l'employeur s'ils ont un lien avec votre activité professionnelle et qu'ils causent un trouble à l'entreprise. Ainsi, bien que les faits litigieux (injures de l'employeur ou de l'entreprise sur Facebook ou Twitter par exemple) soient commis en dehors des heures de travail, ils peuvent donner lieu à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement. La jurisprudence s'attache au caractère de sphère publique ou privée des propos qui figurent sur les réseaux sociaux. Tout propos qui est tenu sur un profil ouvert à tous peut faire l'objet d'une sanction. En revanche, les propos qui sont par nature de la sphère privée de la personne, car accessibles à un nombre restreint de personnes, ne permettent pas à l'employeur d'exercer son pouvoir disciplinaire. En résumé, un seul conseil, activez vos paramètres de confidentialité, et une règle à suivre : séparez le personnel du professionnel !

  2. Fear Of Missing Out (FOMO) Gaffe au FOMO ! Vous ne vous êtes pas connecté depuis plus de trois heures à votre page Facebook ? Vous ne captez pas la 3G et ne parvenez pas à accéder à votre compte Twitter ? Vous avez logiquement peur de passer à côté de quelque chose : vous souffrez d’un nouveau syndrome urbain appelé « FOMO ». Madame Figaro vous rassurera sur ce nouveau mal 2.0 : vous souffrez d’un problème de riche ! En effet, trop d’informations s’offrent à vous. C’est l’embarras du choix. Pour le psy Jean-Charles Nayebi, c’est notre « immaturité technologique » qui s’exprime. La page Wikipédia consacrée à ce problème des temps modernes nous rappelle avec ironie que la fear of missing out était déjà évoquée par Molière dans les Précieuses Ridicules, par la voix de Cathos : « En effet je trouve que c’est renchérir sur le ridicule, qu’une personne se pique d’esprit, et ne sache pas jusqu’au moindre petit quatrain qui se fait chaque jour ; et pour moi j’aurais toutes les hontes du monde, s’il fallait qu’on vînt à me demander si j’aurais vu quelque chose de nouveau que je n’aurais pas vu. » Et pendant que vous feuilletez ce guide, êtes-vous sûr de ne pas avoir loupé le dernier buzz sur les réseaux sociaux ?

  3. Femmes Où sont les femmes ? Le numérique, des emplois masculinisés C’est un paradoxe : alors que les métiers qualifiés se sont progressivement féminisés sur les vingt dernières années, le secteur du numérique va à contre-courant. Il y avait 31 % de femmes dans le secteur de l’informatique entre 1982-84, il n’y en a plus que 20 % entre 2009-11. Volatilisées ! Une récente étude réalisée pour le compte du Syntec Numérique compte seulement 33 % dans les métiers de la branche (bureaux d’études, ESN, ingénierie) alors que les femmes représentent 53 % des emplois, toutes branches confondues. En revanche, elles sont sur-représentées dans les fonctions support (métiers administratifs). Sans action menée pour augmenter la féminisation des emplois, le nombre de femmes formées aux métiers de la branche sera inférieur aux besoins des entreprises. Les proportions risquent même de diminuer, s’inquiète le syndicat employeur. Une source de ce phénomène tient à l’orientation lors des études. Les stéréotypes ont la vie dure, à l’école comme au sein des familles, relève également un rapport publié par France Stratégie. « Aucune princesse ne s’oriente vers la technique », « ce sont les garçons qui inventent les machines de super-héros », « les filles ne sont pas capables de coder » : le rapport de la branche Syntec recense tous ces clichés. Les bachelières des filières scientifiques préfèrent se tourner vers la biologie ou la chimie plutôt que vers le digital. L’absence de modèles féminins joue sur l’attractivité des métiers du numérique. Pour un Steve, Larry, Mark, Elon ou un Jacques-Antoine, combien de Céline ou de Marissa ? Des bonnes pratiques existent cependant en matière d’égalité professionnelle, même si le secteur des entreprises du numérique est réputé pour ses conditions de travail difficiles (horaires exigeants, faible prise en compte des contraintes familiales, etc.). L’égalité geek-geekette, une problématique centrale qui n’a rien de virtuel.

  4. Filière Une filière du numérique, ou plutôt un écosystème numérique ? La notion de « filière » est réapparue récemment dans le débat public comme une façon de résister ou d’apprivoiser la mondialisation, et de mettre en avant les forces de l’appareil productif national. Le rapport Gallois de 2012 faisait du retour des filières une des clés de la compétitivité française. Dans un colloque de 2013, l’UNSA s’interroge : « quelle politique industrielle pour quels emplois ? » et souhaite « replacer les filières au cœur du débat ». Dans cette logique, 12 comités stratégiques de filière ont été institués en septembre 2010 sous l’égide du Conseil National de l’Industrie (CNI). Parmi eux, figure le Comité Stratégique de la filière STIC (Services et technologies de l’information et de la communication), nouvellement baptisé Comité Stratégique de la filière Numérique (CSFN). Il regroupe aujourd’hui des acteurs provenant des différents secteurs du numérique : opérateurs de télécommunication, industriels de l’informatique et/ou de l’électronique, services informatiques, éditeurs de logiciels, administrations et collectivités locales, représentants patronaux et syndicaux. Un « contrat » de filière est signé en 2013, dans lequel les acteurs et l’Etat planifient des engagements et axes de travail : GPEC, rédaction d’un accord RSE de filière, développement du sans-contact mobile, ouverture d’un chantier autour des villes numériques, etc. On voit ainsi se constituer une filière du numérique, d’un point de vue institutionnel. Mais, s’agit-il d’une filière à proprement parler ? Traditionnellement, une filière est la chaîne de valeur qui part d’une matière première jusqu’au produit final. La filière « bois » par exemple va du bûcheron jusqu’aux meubles en kit. Mais où est la matière première dans la filière numérique ? Est-ce la donnée, nouvel or noir du XXIe siècle ? Et quel serait le produit final ? Le numérique est utilisé dans la voiture connectée, le dossier patient électronique, la domotique, les machines-outils 4.0… Bref, s’il existe une « filière du numérique », celle-ci ne concerne ni un produit final, ni une matière première, mais regroupe plutôt des acteurs économiques dont les activités s’articulent autour du numérique. C’est-àdire autour de ce que cette technologie rend possible : le stockage et de la transmission d’information à partir d’un traitement en séquences binaires [voir Numérique (Technologie)]. Certains spécialistes préfèrent même parler d’écosystème numérique. Ils mettent ainsi l’accent sur le caractère dynamique de l’économie numérique, alors que la notion de filière présente un caractère relativement statique. C’est, qu’en effet, le numérique conduit à des évolutions profondes de l’appareil productif. Les frontières se brouillent entre les producteurs des réseaux (traditionnellement les télécoms), les producteurs de contenus et ceux qui fournissent les infrastructures et les services nécessaire au développement des supports (convergence). Le cloud computing en fournit l’exemple le plus criant : tous les acteurs, peu importe leur position sur la « chaîne de valeur », s’y mettent (Google, IBM, Orange, les ESN...). Par ailleurs, le numérique ne peut être analysé d’une manière complètement isolée, sans comprendre les relations entretenues avec les autres activités productives. C’est par l’évolution des rapports qu’entretiennent les acteurs du numériques avec d’autres acteurs économiques (de la banque, de la domotique, de la santé, de l’automobile, etc.) que l’économie numérique se développe, se transforme et transforme la société.

  5. Fintech Des innovations et des chaînes Financement participatif (ou crowdfunding), banque en ligne, coffres-forts virtuels, modèles prédictifs en matière d’assurance et de crédit, intelligence artificielle, etc. Dans la banque, les innovations se multiplient à un rythme effréné. Certains prédisent une ubérisation du crédit. Chacun pourrait devenir banquier et prêter directement via des plateformes comme chacun (ou presque) a déjà pu devenir chauffeur ou transporteur. La réalité sera sans doute différente. Certes, le financement participatif des entreprises est en train de se développer. Mais au final, il permet à de plus petites entreprises d’accéder à un marché financier non bancaire dont bénéficiaient déjà les grandes entreprises en faisant directement appel à l’épargne. Par ailleurs, le crowdfunding est à la source du financement de multiples projets dans l’économie collaborative. Le métier des banques et des assurances reste protégé par deux très hautes barrières à l’entrée : d’une part la réglementation, encore complexifiée depuis 2008, et qui oblige à employer des bataillons de spécialistes des risques et de la conformité ; d’autre part, les fonds propres nécessaires pour garantir la solvabilité de ces entreprises. Cela signifie-t-il que rien ne va changer en profondeur ? Non, bien au contraire. Les banques en ligne captent une clientèle toujours plus nombreuse et la fréquentation des agences des banques traditionnelles baisse rapidement. Des start-up proposent régulièrement des innovations technologiques qui font évoluer les métiers de la banque-assurance. La technologie des « blockchains » (en gros, une base de données agissant comme un grand livre comptable, accessible à tous et non pas uniquement aux intermédiaires financiers, qui est à la base des monnaies virtuelles comme le BitCoin) n’en est sans doute qu’à ses débuts et peut bouleverser le modèle économique (business model) des banques en générant des économies considérables. La différence avec d’autres secteurs innovants est sans doute que, du fait des barrières à l’entrée, il est aujourd’hui peu probable que des acteurs nouveaux apparaissent et s’accaparent le marché traditionnel des banques et assurances. On voit plutôt les établissements investir eux-mêmes dans ces technologies (une quarantaine de banques se sont ainsi alliées pour développer les blockchains) ou racheter les start-up dès qu’elles réussissent. Le modèle ressemble ainsi à celui de l’industrie pharmaceutique où les majors rachètent les start-up qui ont réussi à développer un nouveau médicament. Pour autant, les conséquences sociales promettent d’être considérables. Le nombre de conseillers en agence va continuer de se réduire, les métiers vont évoluer très rapidement. Face à cela, les plans de GPEC apparaissent bien modestes...

  6. Followers Les sympathisants de demain ? Mot d’origine anglaise, construit sur le verbe « to follow » : suivre. La traduction littérale du mot follower serait disciple, partisan, voire la cour selon Le Larousse anglais-français. « The king and his followers » donnerait : « Le roi et sa cour ». Dans l’ère d’internet, le terme signifierait plutôt celui d’ « abonné ». Le terme en vient même à être francisé : je te followe sur Twitter, tu me followes sur Facebook. Et si les followers étaient les sympathisants de la cause syndicale de demain ? Tous les syndicats planchent pour nouer de nouveaux liens avec les salariés (ou les non-salariés) via internet et les réseaux sociaux. Camarades, followez notre e-syndicat et ensemble luttons ! A quelle forme de syndicalisme sont sensibles les nouvelles générations Y ou Z ? Internet est un formidable outil de contact, d’échanges et d’informations pour une section syndicale et peut permettre de nouvelles formes d’expression des salariés. Dans son ouvrage Permis de construire (2015), le secrétaire national de la CFDT, Laurent Berger, évoque le développement de son syndicat au sein de la plateforme logistique Amazon à Lauwin-Planque (Nord) : « ils ne parlent pas des sympathisants mais de leurs followers, écrit-il, nous aussi nous allons devoir nous adapter ! » Aux syndicats de faire adhérer de nouveaux abonnés, militants, courtisans ou followers !

  7. Fonction publique Quel impact du numérique sur le travail des agents de la fonction publique ? Eh oui, l’administration aussi se modernise ! Equipement en moyens informatiques, développement de l’e-administration (guichets en ligne, téléprocédures, déclaration dématérialisée des impôts, etc.)… Mais quid du travail des agents de la fonction publique ? Il y a dix ans, l’étude COI montrait déjà que, contrairement à certaines idées reçues, les fonctionnaires ne sont en retard ni au niveau de leur équipement informatique ni au niveau de l’utilisation qui peut en être faite. Ce constat général ne doit pas masquer des disparités en fonction des équipements utilisés et des usages dépendant des catégories socioprofessionnelles. Pour certains, l’introduction croissante des TIC est un des moyens utilisés pour amener le changement au sein des administrations publiques et pour rapprocher les pratiques et les valeurs du public de celles du privé. Du point de vue des conditions de travail des agents, comme le note l’étude de France Stratégie consacrée à cette question, un aspect positif peut être l’amélioration des échanges à l’intérieur et entre les administrations, grâce aux outils collaboratifs. De même, les outils numériques peuvent fortement accroître l’autonomie au travail, tandis que l’administration peut espérer du même coup augmenter la motivation de ses agents... Cela fonctionnera-t-il ? Concernant l’autonomie, on constate en réalité une superposition de rigidités. Les logiciels mis en place obligent à standardiser les processus de travail et cette rigidité nouvelle peut s’ajouter à d’autres rigidités héritées du modèle bureaucratique… Certains agents peuvent également avoir le sentiment d’être davantage contrôlés qu’auparavant : leurs tâches peuvent désormais être tracées et accompagnées de normes de productivité. Dans ces conditions il n’est pas certains que la motivation augmente ! De même, le numérique peut instaurer une pression temporelle liée à l’immédiateté des réponses attendues en ligne, et transforme la relation aux usagers. En outre, les TIC peuvent venir modifier les relations au travail et la culture des agents. Les collectifs de travail au sein de la fonction publique se construisent autour de valeurs comme la défense de l’intérêt collectif. La mission de service à l’usager donne du sens au travail quotidien des agents. Les TIC perturbent-ils ces collectifs et leurs valeurs ? Dans certains cas, les technologies numérique ont pu éloigner les agents des usagers en virtualisant leur relation. L’e-administration a transformé certains postes de front office (travail relationnel au guichet) en back office (traitement rationalisé des informations). Aujourd’hui, environ 80 % des agents de la fonction publique sont au contact des agents, de façon régulière ou permanente. La relation de contact avec les usagers est une composante importante de l’identité professionnelle des agents. Or les TIC dépersonnalisent la relation à l’usager, ce qui peut expliquer en partie la baisse d’implication de certains agents. Qu’en est-il pour les enseignants ? Il n’existe pas d’enquête sur l’impact des TIC sur leurs conditions de travail. Quelques éléments sont toutefois développés dans la note de France Stratégie, basés sur des établissements avancés dans la numérisation, donc pas forcement représentatifs. Les outils numériques ont des effets contrastés : hausse possible de la charge de travail des enseignants, réduction du temps de présence dans l’établissement (en tout cas pour les enseignants du supérieur), amélioration des échanges avec les élèves, les parents et les autres enseignants en permettant l’échange de documents (relevés de notes ou manuels en ligne), gain de temps notable dans le dé-

roulement du cours (moins de temps perdu à changer de supports), plus grand intérêt et investissement des élèves qui connaissent les TIC depuis leur naissance… Les enseignants insistent sur l’importance d’être davantage formés d’un point de vue technique mais surtout pédagogique, pour ne pas se voir débordés : ne pas en savoir autant que leurs élèves sur les outils numériques, ne pas les utiliser au maximum de leur potentialité ou ne pas pouvoir contrôler leur activité (voir éducation). Des questionnaires plus subjectifs montrent que les agents du public ont une attitude méfiante et inquiète, davantage que dans le privé. Attention à ne pas tout mettre sur le dos d’une présupposée « résistance au changement ». Le changement se construit avec les salariés, pas contre eux ou sans eux. En face de ces transformations rapides et massives, la fonction publique a-t-elle mis en place un management du changement adapté ? Le triptyque accompagnement, formation et concertation prend ici toute son importance.

  1. Forfait-jours Un modèle adapté pour le travailleur du numérique ? Le forfait-jours existe depuis la loi Aubry II (2000). Il concernait initialement les cadres autonomes dans leur travail. Le principe est de décompter le temps de travail en jours par an, plutôt qu’en heures par semaine. Une convention individuelle doit être signée avec chaque salarié concerné, fixant le nombre de jours maximal à effectuer par an. Un accord collectif doit avoir été signé auparavant dans l’entreprise ou l’établissement. L’employeur doit suivre la charge de travail notamment par le biais d’un entretien individuel annuel. Depuis 2005, le système s’applique aussi aux noncadres « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie » dans leur emploi du temps (art. L.3121-43 C. Trav). Toutefois, seuls moins de 3 % d’entre eux sont dans ce cas. Le dispositif concerne en premier lieu les cadres : 47 % des cadres travaillent en forfait-jours (données de 2014). Au total, 13 % des salariés travaillent sous ce régime. Dans son rapport « Transformation numérique et vie au travail » de 2015, la commission présidée par Bruno Mettling, ancien DRH de grands groupes, recommande de sécuriser et étendre les possibilités d’usage du « forfait jours » pour les salariés autonomes, cadres ou non-cadres. Ce dispositif a été inventé en 2000, soit bien avant la numérisation de l’économie et la mise à disposition de smartphones aux salariés ! Pour le rapport Mettling, l’utilisation du forfait-jours est aujourd’hui juridiquement complexe pour les employeurs. Diverses jurisprudences ont été fixées pour protéger la santé des salariés, notamment relativement au respect du repos quotidien ou hebdomadaire, et ceci était indispensable. Les auteurs du rapport estiment que le forfait-jours « constitue le cadre juridique le mieux adapté aux modalités d’organisation du travail mises en place suite à la transformation numérique ». En effet, avec la montée du travail nomade ou à distance, deux changements fondamentaux apparaissent. D’abord, le travail peut se réaliser dans différents lieux, pas nécessairement dans l’entreprise. Ensuite, et cela est lié, dans l’« ancien monde », le temps de travail était facilement contrôlable. Dans le monde numérisé actuel, les possibilités de connexion à distance créent des situations dans lesquelles l’employeur ne peut plus contrôler le salarié. La commission Mettling voit dans le développement du forfait-jours une solution au problème du contrôle impossible du temps de travail. Il s’agit d’une certaine façon de responsabiliser le salarié.

Plutôt que de le contrôler en train de faire son travail, il s’agirait plutôt de contrôler les résultats de son travail. C’est ni plus ni moins une nouvelle façon de penser le management. Demain, tous nomades et au forfait ? Cela pose d’innombrables questions. Une première question est celle de l’autonomie réelle des salariés en question. En matière de temps de travail, le développement du télétravail vient brouiller les frontières traditionnellement fixées par la régulation collective du temps de travail : temps de travail effectif, temps de repos quotidien, etc. Dans sa contribution au rapport Mettling, le MEDEF pose le cas suivant : « Faut-il empêcher un salarié de rentrer tôt pour s’occuper de ses enfants et se remettre à travailler après dîner ou faut-il considérer qu’il gère librement sa charge de travail de même que son temps de repos ? » Tout est dans le « librement »… Une seconde question concerne le pouvoir des représentants en matière de négociation des conditions de travail et d’analyse de la charge de travail. Or, quelle entreprise évalue véritablement la charge de travail de ses salariés ? La combinaison télétravail + forfait-jours ne signifierait-elle pas la mise sous le tapis de l’analyse de la charge de travail ? La dernière question – centrale – est directement liée à la problématique de la charge de travail. Elle porte sur la protection des salariés en matière de santé et de sécurité. Une extension du forfait-jours pourrait en effet signifier un « transfert de responsabilité » de l’employeur vers les salariés. Modifier la réglementation sur le forfait jour est-il alors si urgent, alors que son usage actuel soulève déjà de nombreuses problématiques ?

  1. GAFA Les nouveaux maîtres du monde (mais attention, arrivent les NATU !) Pour faire moins grandiloquent, on désigne parfois les « Géants du Web » (voir la page Wikipédia consacrée) sous l’acronyme GAFA, pour Google, Apple, Facebook, Amazon. Ces entreprises ont d’abord révolutionné le web : utilisation du web partout, réseaux sociaux, consommation en ligne, etc. 55 % des usages (e-mail, e-commerce, musique, vidéo, réseau social…) d’un utilisateur moyen passerait par ces quatre plates-formes. Elles révolutionnent plus globalement nos vies numériques. Google est dans votre ordinateur, dans votre téléphone, dans votre maison (via les thermostats intelligents Nest désormais propriété de la marque, ou encore les lentilles connectées pour diabétiques objets connectés) et, demain, dans votre cerveau ? L’entreprise a créé Calico, start-up de biotechnologies spécialisée dans les maladies liées à l’âge et la neurodégénérescence. Son mystérieux Google X Lab travaillerait sur un programme de diagnostic des cancers et, demain, dit-on, sur la possibilité de télécharger notre conscience sur un ordinateur. Google est-il en train de créer la vie éternelle et le surhomme ? Auparavant, il aura peut-être même concurrencé votre entreprise a priori protégée, comme par exemple… le rail. En 2013, « devant des cadres médusés », racontent les auteurs de Bienvenue dans le Capitalisme 3.0, le patron de la SNCF présentait Google comme la prochaine menace ! « Bientôt, les deux tiers des patrons du Cac 40 viendront à se demander si leur premier concurrent demain ne sera pas Google », dit le président de la Fondation internet nouvelle génération (cité dans le même ouvrage). Les quatre GAFA pèsent aujourd’hui plus lourd que l’ensemble des entreprises cotées au Cac 40 français ! Avec un comportement de passager clandestin. Le patron de vente-privee.com, un des fleurons de notre économie numérique bleu-blanc-rouge, paye plus d'impôts en France que Google, Apple, Facebook, eBay et Amazon réunis. « C’est un gag ! », relevait-il dans un entretien. Les GAFAM (GAFA + Microsoft) utilisent en effet des stratégies d’ « optimisation fiscale » les conduisant à payer 22 fois moins d’impôt à l’Etat français que ce qu’ils doivent. En recourant notamment au fameux « double Irish », une pratique de contournement du fisc européen en rapatriant l’ensemble des bénéfices en Irlande, Facebook n’a versé que 191 000 euros d’impôts en France en 2012 ! Derrière les GAFA, se profile désormais une nouvelle ère : celle des NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, et Uber), les quatre grandes entreprises emblématiques de la « disruption » numérique ! Bien que pesant moins lourd en termes financiers (quoique Uber vaudrait plus de 50 milliards de dollars, quand Renault en pèserait 26…), ces entreprises sont en croissance ultra-rapide. Comme les GAFA, les NATU modifient vos vies, cette fois jusque dans le travail. Google et Amazon, c’est (c’était) encore le salariat ; Airbnb et Uber, demain : quel modèle d’emploi ?

  2. Gig economy Youpi, l’économie des petits boulots se développe?! Terme anglais pour caractériser la nouvelle « économie des petits boulots » ou « des petits services ». Synonymes anglais : 1) share economy – expression renvoyant à l’idée d’une économie du partage, donc connotée plus positivement) ; 2) platform economy – terme insistant sur le rôle des plateformes numériques mettant en relation offreurs et demandeurs de services (ou de petits boulots). Le mastodonte américain s’appelle « Taskrabbit », les micro-travailleurs s’y font appeler les taskers (les tâcherons, quoi). Taskrabbit, c’est les services à la personne sans intermédiaire : ménage à domicile, montage de meuble Ikea, voire faire la queue pour vous acheter un ticket à l’opéra. Les clients potentiels fixent des enchères maximales et peuvent cliquer sur la photo du tasker. Le patron de cette entreprise n’a ni plus ni moins comme objectif que de « révolutionner la force de travail mondiale ». Un modèle qui fonctionne sur les inégalités sociales : des acheteurs prêts à payer ces services pour se libérer du temps, des travailleurs prêts à rendre ces services souvent faute de mieux. Une économie des services ou des serviteurs ? Une start-up française s’appelle « Youpijob » et vous propose de devenir « jober ». Youpi, l’économie des petits jobs rémunérés ! Un autre site français s’appelle 5euros.com où l’on peut vendre ses services : « je vais réaliser votre bande-annonce », « je vais traduire 600 mots de l’espagnol vers le français » voire « je vais écrire la chanson d’amour pour la personne de votre choix ». Le tout pour un prix unique, 5 euros si vous avez bien suivi ! Love me, jober… Une journaliste de l’Obs qui a testé ce service a failli en avaler sa carte de presse. Mettant en vente ses compétences rédactionnelles (votre article pour 5 €), elle avait l’impression d’ubériser toute la profession… Une multitude d’applications web proposent également de jouer les intermédiaires dans d’autres domaines (la traduction par exemple, qui à la différence du travail physique dans les petits boulots précédents, peut se faire de façon délocalisée, n’importe où sur la planète). S’agit-il de « tâches », de « jobs », d’ « emplois », d’ « activités indépendantes » ? « Il y a quelques années, la norme était de changer de travail tous les trois ou quatre ans. Les travailleurs indépendants avaient quelque chose de suspect. Désormais, travailler pour cinq employeurs en même temps est un insigne d’honneur. Cela montre votre valeur réelle. Vous êtes un professionnel hors pair, et on s’arrache vos services pour cela ». Voila en substance ce que disait un article de la revue technophile américaine Wired : la gig economy est ce qui va sauver le travailleur américain ! Aujourd’hui, ce sont les designers, les traducteurs, les programmateurs informatiques qui sont les travailleurs freelance du numérique, ainsi que les fameux chauffeurs Uber ou les femmes de ménages de Taskrabbit ou de Youpijob. Dans dix ans, écrit Wired, ce sera nous tous ! Travailleurs qualifiés ou non qualifiés, tous connectés et freelance ? Aux Etats-Unis, le travail en freelance qui concernait 6 % des salariés en 1989, en concernerait entre 20 % à 30 % aujourd’hui. Les grandes villes américaines connaissent un accroissement rapide du nombre de travailleurs indépendants : +20 % par exemple à Los Angeles ou Austin entre 2013 et 2014. Il devrait y avoir environ 40 % de « travailleurs à la demande » en 2020. Un phénomène marquant aux Etats-Unis est le multi-statut : à la fois employé « classique », dans le cadre d’un contrat de travail, et indépendant dans le cadre d’un contrat commercial. « Le travail freelance, c’est la nouvelle norme! », dit la responsable américaine du syndicat des Freelancers (car oui, il existe un syndicat). Mais quelle est la norme en matière de protection de ces travailleurs ? Aux Etats-Unis, une faible protection sociale dans le cadre d’un emploi à temps partiel, associée à pas de protection sociale dans le cadre d’un « mini-gig » voire d’un « nano-gig » ? Et en France ? VOIR : Indépendant (Travail)

  3. GPEC La GPEC à l’ère du numérique : anticiper la transformation des emplois ? La Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) est-elle la réponse à l’impact du numérique sur le monde du travail ? Oui ! Bien sûr ! En théorie… mais il faudrait alors que les pratiques s’adaptent. Depuis son entrée complète dans l’arsenal juridique français (en 2005), la GPEC s’est traduite essentiellement par des grands accords-cadres indiquant surtout de belles intentions RH, ainsi que des plans de départs volontaires remplaçant les habituels PSE. La GPEC souffre d’un déficit de pratique et d’habitude de négociation. Elle est aussi une notion qui n’est finalement pas si évidente. Une entreprise peut-elle planifier l’évolution de ses besoins à trois ans ? En théorie oui, sauf que le DRH d’une filiale d’un groupe a un horizon de temps qui se compte en mois. L’entreprise a-t-elle intérêt à adapter son personnel ou vaut-il mieux trouver sur le marché du travail des personnes déjà formées ? La GPEC est un objectif noble et une réalité limitée. La GPEC doit-elle être faite par le marché, l’entreprise ou les pouvoirs publics ? Le développement du numérique n’améliore en rien la situation de la GPEC. « Les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l’avenir », aimait à dire Pierre Dac, à une époque où les premiers ordinateurs utilisaient encore des cartes perforées. Le numérique ne change rien à l’affaire mais il accélère le problème. Les révolutions technologiques du monde classique se déroulaient sur un temps long de plusieurs années ou décennies. Un salarié adapté à une nouvelle technologie avait donc un certain horizon de tranquillité devant lui. Le numérique accélère le temps (ou le réduit ?) et une avance technologique ne dure plus que quelques mois ou de courtes années. Le numérique accélère donc le besoin d’évolution et d’adaptation. Dans ces conditions, la GPEC est-elle une réponse au numérique? Elle a rencontré beaucoup de difficultés dans des cas « normaux », pourquoi réussirait-elle mieux aujourd’hui, alors que la fonction RH n’a jamais été aussi appauvrie ? Ne serait-ce pas une mission de service public de permettre aux salariés de s’adapter aux évolutions numériques ?

  4. Homejoy Que nous apprend le premier fiasco de l’économie ubérisée ? Les licornes ont beau être des animaux féériques, elles ne sont pas immortelles. C’est ce qui est arrivé à la start-up américaine Homejoy, spécialisée dans le ménage à domicile. « Premier échec de l’Uber-économie », « fiasco spectaculaire de l’Uber du ménage », « comment planter une startup qui a levé 38 millions de dollars » : la fermeture de cette entreprise, début 2015, a été abondamment commentée. A la manière de Taskrabbit, Homejoy est fondé sur un modèle d’économie à la demande (gig economy) : des travailleurs indépendants connectés à une plateforme numérique. Son échec serait en partie dû à la menace de poursuites judiciaires intentées par ses travailleurs indépendants réclamant des contrats de travail, ce qui aurait fait fuir des investisseurs. Mais d’autres causes seraient plus banales, en particulier une fuite constante de ses meilleurs employés, préférant des contrats en direct mieux rémunérés avec les (désormais ex-) clients. La qualité n’était pas au rendez-vous, alors que qualité des emplois et qualités des services sont centraux sur ce marché des services à domicile. La plupart des travailleurs de Homejoy n’avaient aucune expérience dans ce type de tâches. Le service rendu, ce n’était pas la « joie » ! La formation des intervenants à domicile est centrale : or, qui paye pour la formation dans ce type de marché composé exclusivement d’indépendants ? Et tant pis pour le travailleur si l’algorithme utilisé par la plateforme les envoie à une heure et demie de leur domicile, ou pire s’ils ont un accident de travail. En France, on peut recruter directement quelqu’un pour faire le ménage chez soi, mais l’on doit respecter une convention collective, impliquant des droits pour le salarié. Pour l’un des cadres de l’entreprise, un autre problème majeur « est qu’on ne tirait pas assez d’argent de nos clients (…). On dépensait beaucoup pour les trouver, mais on ne les retenait pas ». Une stratégie de disruption de l’entreprise a été de casser les prix en bradant des coupons « Groupon » (une journée de nettoyage pour 20 dollars). Mais les clients ne revenaient pas vers le service. L’entreprise fonctionnait tout bonnement à perte. D’un point de vue économique, l’entreprise a privilégié sa croissance à ses revenus. Son expansion internationale (dans les grandes villes américaines, mais aussi à Berlin ou Paris, ou l’on peut retrouver trace de sa stratégie de guerre des prix) a été précipitée. Les travailleurs indépendants de Homejoy n’ont jamais été remerciés : ils n’ont plus reçu de réservations.

  5. Indépendant (Travail) Quelle protection sociale pour le travail indépendant en France à l’ère du numérique ? Les indépendants représentent environ 3 millions de personnes en France, tous secteurs d’activité confondus. Pour l’INSEE, il s’agit d’entrepreneurs qui ont tous comme point commun l’absence de contrat de travail et de lien de subordination juridique à l’égard d’un donneur d’ordre. Mais la composition des indépendants est très hétérogène : pour certains il s’agit de leur activité principale, pour d’autres d’une activité de complément ; certains emploient des salariés, d’autres non ; etc. Si aujourd’hui ces non-salariés représentent environ 10 % du salariat total, la proportion est montée bien plus haut il y a quelques années : elle était de 16 % en 1980 et de 20 % en 1970. Depuis le début des années 2000, la part des non-salariés recommence à croître. Le regain apparent du travail indépendant est donc à relativiser comme le dit le rapport du CNNum. Dans d’autres pays, la part des non-salariés dans l’emploi total est par comparaison restée stable (Italie, Allemagne) ou a augmenté (Royaume-Uni). Le travail indépendant se développe aujourd’hui sous une myriade de formes « hybrides », à la frontière du salariat - quoi de commun en effet entre le responsable franchisé d’un commerce, l’étudiante livreuse de plats chauds chez Deliveroo et le maçon qui développe son entreprise de confection de gâteaux de bonbons en auto-entrepreneuriat ? Si le non-salariat est amené à effectuer son come-back, la question est donc posée de l’avenir du salariat. « Ces deux formes [entrepreneur et travail indépendant] ne vont pas faire disparaître le salariat, mais vont le marginaliser dans la représentation que nous nous faisons de l’économie », dit Nicolas Colin dans un entretien. Deux questions au moins se posent. La première question est économique. Elle renvoie à l’évolution des business models des entreprises classiques. Avec le développement de ces travailleurs indépendants connectés à des plateformes, il est devenu usuel de parler d’un risque de « disruption » ou d’ « ubérisation » face auquel aucune entreprise n’est protégée. Concentrons-nous sur la seconde question, qui est sociale. Nos droits sociaux se sont développés avec le salariat ; ils sont attachés à des emplois salariés. Comment faire évoluer les droits actuels et développer de nouveaux droits sociaux dans un contexte de poussée du non-salariat ? Une grande partie de la réponse tient à la définition même de la relation de travail. Le contrat de travail est caractérisé par un lien de subordination entre l’employeur et le salarié. Du côté des indépendants, la liberté est loin d’être totale. On peut être freelance sans être vraiment libre, « free »… L’indépendance des « jobeurs » ou « taskers » (voir gig economy) est parfois relative… La question de la subordination, propre à la relation salariée, se pose en effet en d’autres termes pour les indépendants : l’enjeu central porte sur la relation de dépendance économique. « L’hyper-externalisation accentuée par la révolution numérique tend à créer des relations de dépendance économique en dehors de toute subordination juridique du travail », écrit le rapport du CNNum. Pas subordonné, mais pas vraiment indépendant !

L’épisode de la guerre entre les chauffeurs de taxis (qui peuvent travailler sous statut de salarié… ou en tant qu’artisans indépendants) et les chauffeurs de VTC reliés à la plateforme Uber a mis en lumière cette question. Les chauffeurs Uber ne sont pas salariés, mais entretiennent une relation de dépendance économique quasi-totale avec la plateforme. Leurs revenus futurs dépendent du fonctionnement de la plateforme, ainsi que des notations laissées par les clients. Le CNNum évoque à ce titre une possible « sur-subordination » : la personne est contrôlée par la plateforme et par les clients ! D’un point de vue juridique, la mise en évidence de ces liens de dépendance économique devient cruciale. Uber et les autres plateformes digitales redéfinissent à la fois l’emploi et le travail et nous invitent à une profonde réflexion. La justice évolue dans le même temps. En 2015, un tribunal californien a imposé à Uber de traiter ses chauffeurs comme des salariés et non comme des simples sous-traitants indépendants. Si ces décisions devaient faire boule de neige, le modèle économique de Uber, qui se présente comme une plateforme numérique et non comme une société de transport, pourrait-il y survivre ? La question vaut pour toutes les plateformes qui se développement actuellement. En France, comme le rappelle le rapport du député Pascal Terrasse sur l’économie collaborative, le contournement du statut de salarié par celui d’indépendant ne date pas des plateformes numériques. Depuis 1996, la jurisprudence en précise bien les contours et l’Inspection du travail ou l’URSSAF ont un pouvoir de sanction : « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements du subordonné. Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail. » Ce qui est certain, c’est que le développement de multiples « nouvelles formes d’emploi » se fait selon une logique de flexibilisation : travail à la demande, travail occasionnel, etc. « Dès lors que le cadre institutionnel assimile l’emploi au travail salarié, le reste des formes d’emploi est exclu de la régulation classique, si bien que la multiplication des régimes, statuts, et modes de contractualisation entraîne le détricotage du salariat : celui-ci perd en attractivité pour les entreprises, qui en utilisant des outils de flexibilisation, dévalorisent de facto le travail salarié » (CNNum). Les transformations numériques du travail et de l’emploi invitent à prendre en compte la multiplicité des situations hors salariat. Elles renforcent une vision nouvelle de la protection sociale, qui consiste à attacher des droits à la personne elle-même, et non à l’emploi en tant que tel. Le travailleur à l’ère du numérique deviendrait ainsi porteur d’un portefeuille voire d’une « musette » numérique de droits et de ressources, attachés à sa personne et non à son emploi actuel. Le Compte personnel d’autonomie (CPA) avancé par le gouvernement suit cette philosophie. Ces propositions d’une sécurisation des parcours ne sont pas nouvelles ; elles préexistaient aux transformations qui s’opèrent sous nos yeux. L’idée est évidemment séduisante, mais complexe en pratique. Dans une optique de droits « universels » attachés à la personne, certains comme le CNNum proposent une allocation monétaire pour tous, qui représenterait un filet de sécurité minimum pour œuvrer dans l’ère numérique. Cette allocation me protégerait et me permettrait de m’insérer dans l’emploi salarié… ou non-salarié. Un bon système fiscal assurerait une redistribution effective : pas question d’offrir de l’argent de poche aux plus fortunés. En contrepartie, les droits sociaux tels qu’on les connaît disparaîtraient. Une fausse bonne idée ? Une utopie sociale précarisante ? La Finlande va expérimenter cette mesure en 2017. Travailler y deviendra-t-il un choix ? Pour le mensuel Alternatives économiques, « c’est là le dilemme du revenu de base : élevé, il n'est pas finançable; faible, il risque d'appauvrir la partie de la population la moins bien lotie, privée de prestations les plus redistributives (comme l'allocation logement ou le RSA). »

L’autre piste évoquée dans le rapport du Conseil national du numérique est de renforcer le statut de travailleur indépendant. Le salariat n’est plus « l’alpha et l’oméga » des politiques d’emploi, écrivent les auteurs : il convient de définir un statut spécifique ouvrant des droits (en matière de santé, de retraites, etc.) pour le travailleur indépendant qui prend des risques, investit dans des outils, etc. Il ne s’agit pas de faire entrer le chauffeur Uber dans le modèle de l’emploi salarié, mais d’encourager la définition de nouveaux droits pour le travail « à la demande ». Le rapport Terrasse renvoie de son côté à la responsabilité des plateformes numériques au regard du développement des formes précaires de travail indépendant. A ces intermédiaires numériques de sécuriser les parcours de ces travailleurs (formation professionnelle, portabilité des droits, etc.). Il préconise d’améliorer le RSI (régime social des indépendants) et d’aligner les droits sur ceux des salariés. Une autre idée fait également florès : celle qui s’inspirerait du régime des intermittents du spectacle pour fonder la protection sociale du travailleur numérique. Pourtant décrié pour ses conditions drastiques, le régime d’intermittent du spectacle permet aux nomades de l’art et du spectacle de se consacrer à la préparation d’œuvres grâce à une indemnisation lissée sur l’année et des droits sociaux ouverts (maladie, retraite etc.). Demain, tous intermittents du numérique ? Position intéressante et disruptive, portée par des personnalités comme Nicolas Colin ou Jacques Attali… Mais il s’agit d’un discours à prendre avec prudence néanmoins. Quel financement de ce modèle ? Quels droits et devoirs, quelles libertés contractuelles et quelles sécurités pour les travailleurs-trapézistes du numérique ? Il existe encore d’autres propositions, comme celle du Conseil d’analyse économique d’étendre le statut d’autoentrepreneur, ou encore celles visant à développer les plateformes coopératives (sur le modèle de Coopaname par exemple) ou le portage salarial. Freelance, mais avec un soutien collectif ; indépendant, mais pas tout seul et dans le cadre d’un projet mutuel : une ambition pour la construction de nouveaux droits ?

  1. Inflation La gig economy, c’est la fin de l’inflation ? Depuis quelques années, les économies occidentales sont entrées en phase d’inflation zéro, ou presque. Le spectre de la déflation, ce régime où les prix baissent et vient gripper toute l’économie, comme c’est le cas depuis une vingtaine d’années au Japon, revient nous hanter périodiquement. Le rapport avec l’économie numérique ? Il est dans la progression du nombre des autoentrepreneurs ou travailleurs indépendants, phénomène central du développement de l’économie à la demande ou gig economy. Cette progression se fait au détriment du pouvoir de négociation des salariés, dit en substance l’économiste Patrick Artus dans un article du Monde. Puissants, les salariés peuvent négocier des augmentations de salaire, d’ailleurs fondées sur la hausse de l’inflation. Dans un contexte de faiblesse durable de l’inflation et de croissance des travailleurs indépendants (qui négocient tous seuls leurs contrats – quand ils peuvent négocier quoi que ce soit !), le risque est celui d’un cercle autoentretenu. Comme le titre l’article du Monde, nous serions « à la recherche de l’inflation perdue ». Tels des Indiana Jones de la Négociation Annuelle Obligatoire (NAO), comment nos représentants du personnel vont-ils faire face à ce redoutable défi ?

  2. Infobésité Ne nourrissons pas l’infobésité! L’infobésité, c’est le joli terme trouvé par l’Office québécois de la langue française comme synonyme de « surinformation » ou « surcharge informationnelle ». Il s’agit, selon nos cousins québécois, d’un « état résultant d'une information jugée trop abondante par rapport aux besoins ou aux capacités d'assimilation des utilisateurs. » Trop d’info tue l’info. La messagerie électronique déborde, les sollicitations des collègues et des clients se multiplient, les réponses sont exigées dans l’immédiateté, ce qui intensifie notre charge cognitive (rythmes de travail). Notre rapport à l’information change également : toujours connecté, peur de rater quelque chose, du plus futile au plus important ? C’est le syndrome FOMO! Vous connaissez tous l’histoire de ce salarié qui ne voulait plus prendre de congés par crainte de la montagne de courriels à traiter à son retour. Une chercheure américaine, Gloria Mark, a observé un échantillon de salariés américains : ceux-ci consultent en moyenne 74 fois leur courriels chaque jour, soit plus de neuf fois par heure pour une journée de 8 heures. Et ils allaient sur Facebook 21 fois par jour ! Les travailleurs choisissent de s’aérer l’esprit, mais repose-t-on vraiment son cerveau en surfant sur internet ? Les salariés hyperconnectés seraient interrompus toutes les 3 minutes en moyenne, selon cette professeure ! Chaque sollicitation a un coût cognitif : il faut en effet plusieurs minutes (une vingtaine selon l’auteur) pour se concentrer de nouveau sur sa tâche. Coût pour les entreprises en termes de baisse de productivité, coût pour les travailleurs (notamment risque de burn-out…) : y penserez-vous la prochaine fois que vous vérifierez votre inbox ? Le rapport France Stratégie consacré à l’impact des TIC sur les conditions de travail évoque un retour d’expérience au sein de l’entreprise américaine de microprocesseurs Intel : chacun de ses employés impliqués dans des fonctions de gestion, d’analyse ou de conception, perdait en moyenne huit heures par semaine en raison de la surabondance d’informations. Pour une entreprise de cette taille, cela se traduirait par une perte d’un milliard de dollars par an. Les employés recevaient entre 50 et 100 messages électroniques quotidiennement. Ils consacraient en moyenne 20 heures par semaine au traitement de ces messages. 30 % des courriels étaient inutiles. Les cadres supérieurs déclaraient avoir reçu jusqu’à 300 messages par jour. L’infobésité est par ailleurs source de stress, comme le montre un autre travail de Gloria Mark. Dès que l’on supprime les e-mails pendant cinq jours (elle a fait l’expérience auprès de militaires de l’US Army), le niveau de stress se réduit. Alors que l’on pouvait prévoir qu’il augmente, avec la peur de la déconnexion ! Mais il n’en a rien été. Mieux : les militaires ont redécouvert les joies de se parler en vrai ! Pour des cabinets de management, il vaudrait mieux offrir de véritables pauses (prendre l’air plutôt que regarder une vidéo sur Youtube). Le rythme parfait serait 52 minutes de travail pour 17 minutes de pause ! Le management a encore une fois un rôle central : il faut sauver le soldat numérique, plutôt que de laisser le salarié – parfois victime consentante – se dépatouiller avec ses sursollicitations. Les salariés peuvent en effet de leur propre chef utiliser des logiciels « tueurs d’emails », ou au moins pour les mettre en pause… Mais la responsabilité incombe aussi à l’entreprise. Des initiatives diverses fleurissent comme les journées sans e-mail (chez PriceMinister par exemple). D’autres exemples de droits à la déconnexion ou d’accords QVT cherchent à en limiter la prolifération… De la même façon que la communauté des utilisateurs d’internet a coutume de dire « don’t feed the troll » (« ne nourrissez pas le troll », le troll étant dans le Web 2.0 celui qui vient créer une polémique inutile ou artificielle dans un forum par exemple), il est bon de réfléchir à ne pas alimenter notre surinformation, déjà en situation d’obésité avancée.

  3. Intelligence artificielle Quand Watson remplace Sherlock L’intelligence artificielle est un grand thème de la science-fiction, de 2001, l’Odyssée de l’espace à Matrix. Rappelons-nous que l’ordinateur de L’Odyssée de l’espace s’appelle HAL, soit les trois lettres qui précèdent I, B et M dans l’alphabet… Jusqu’à une date récente, les ordinateurs étaient capables de stocker et d’utiliser des quantités gigantesques de données (Big Data), leur permettant par exemple de gagner aux échecs, mais pas d’apprendre par eux-mêmes. HAL prenant le contrôle du vaisseau spatial relevait donc de la science-fiction. Dans la vraie vie, Houston résolvait le problème. Aujourd’hui les choses changent, et pas dans l’aéronautique, mais au plus près de chez nous ! A l’hôpital, au guichet de la banque ou dans les transports, l’intelligence artificielle arrive. De quoi parle-t-on ? Le terme d’intelligence artificielle (IA), inventé dès les années 1940, est utilisé de différentes manières. On distingue en général l’IA « forte », qui concernerait une machine ayant conscience d’elle-même (HAL, Matrix), et l’IA « faible » qui concernerait des machines capables d’apprendre mais qui restent des robots sans conscience. Aujourd’hui, dans les applications qui se développent dans ces différents secteurs, il n’est question que d’IA faible, l’IA forte étant – heureusement – hors de portée, du moins pour l’instant. Les entreprises leader développent des systèmes auto-apprenants (Google avec Tensor Flow, IBM avec Watson) qui s’enrichissent au fur et à mesure que les utilisateurs leur posent des questions. Google a même mis les brevets de Tensor Flow à disposition du public (open source), afin que les geeks puissent enrichir le système. Ceux-ci font les développements qui les intéressent, mais en retour Google bénéficie de leurs apports. On apprend par ailleurs ici qu’une nouvelle écrite par un programme d’intelligence artificielle a « presque » gagné un concours littéraire. Marc Lévy, Patrick Modiano, ubérisés à leur tour ! Alphago, conçue par Google, vient de battre le meilleur joueur mondial au jeu de go. En revanche, le programme d’IA testé sur Twitter par Microsoft en mars 2016 a connu quelques déboires… En moins de 24 heures, le gentil robot s’était mis à proférer des propos racistes ! Watson est déjà utilisé en médecine pour affiner les diagnostics en intégrant l’ensemble des données concernant le patient. Dans la banque, le Crédit Mutuel vient de signer avec IBM pour développer, sous Watson, un système de réponses automatiques aux questions du client. Watson comprendra la question, quelle que soit la façon dont elle est posée, et fournira une réponse personnalisée en fonction du profil du client. Le Crédit Mutuel espère que le système pourra traiter 90% des questions et assister le conseiller en clientèle pour les 10% restants. Avec un tel système, les traditionnelles FAQ appartiennent à la préhistoire. Il est trop tôt pour juger, mais l’IA est sans doute le prochain horizon du numérique. Son potentiel de destruction d’emplois est évident. De nouveaux services apparaîtront-ils pour compenser ces emplois perdus ? Telle est la question, qui n’a rien d’élémentaire, mon cher Watson.

  1. IRP Bientôt les institutions représentatives en ligne du personnel numérisé (IRELPN) ? Que deviennent les représentants du personnel à l’ère du numérique ? En théorie, rien ne change. Les élus du personnel ou délégués syndicaux gardent les mêmes rôles de représentation et de défense de leurs collègues. Les comités d’entreprises (CE) conservent ainsi un rôle central d’anticipation des évolutions économiques des entreprises. Ils doivent observer la transformation des business models et les stratégies de positionnement notamment en matière d’innovation (disruption). Les CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) ont une fonction indispensable d’analyse du travail, dans un contexte d’évolution des rythmes et de transformation de l’autonomie des salariés. Les évolutions numériques posent d’innombrables questions en matière de santé au travail. Cependant, dans la pratique, tout est différent. Où sont les salariés que je représente ? Le syndicalisme s’est surtout développé sur la notion de proximité. Dans l’usine de nos grands-parents, le délégué syndical côtoyait ses collègues chaque jour : à la prise de poste, à la machine à café, à la pause… La représentation des salariés a toujours été fondée sur la notion de communauté : communauté d’intérêts, horaires et lieux de travail identiques, statuts similaires. Or, le numérique amène un double éloignement physique : entre les salariés et l’entreprise et entre salariés eux-mêmes. Aujourd’hui, beaucoup de salariés n’ont jamais vu leurs représentants du personnel, ce qui aurait été inimaginable il y a 30 ans. Le lien entre les IRP et les salariés en mode numérique se réduit et doit être réinventé, ce qui est forcément compliqué. Comment leur parler ? Le Code du Travail n’est pas passé à l’ère numérique. Les tableaux d’affichage sont toujours en papier. Alors que les salariés sont distants, les moyens de communication avec les IRP sont anciens et de moins en moins adaptés. Dans quelques cas, le CE dispose d’un intranet spécifique. C’est cependant encore très rare et insuffisant. Un intranet permet de rendre compte des activités économiques du CE et présente les activités sociales. Par contre, il ne permet pas réellement l’échange qui est fondamental pour la légitimité des IRP. Les représentants du personnel de l’ère numérique enverront des mails directement aux salariés et géreront plusieurs blogs destinés à rétablir l’échange physique qui a disparu. Il faudra cependant qu’ils se forment pour ça et qu’ils en négocient le droit (sauf si le Code du travail était un jour modernisé). Comme le note la CFE-CGC dans sa contribution au rapport Mettling, « alors que la modernisation du dialogue social dans l’entreprise est sur toutes les lèvres, (…) les représentants syndicaux ou élus du personnel n'ont pas actuellement un droit d'accès aux outils numériques de l'entreprise ! ». Revenons à une question clé : pourquoi les représentants du personnel existent-ils ? Vieille question dont l’éclairage change avec le numérique. Les représentants du personnel sont indispensables parce que le salarié est en situation d’infériorité et qu’il est également plus fragile socialement que l’employeur. Est-ce encore vrai avec le numérique ? La question se pose. Les entreprises assimilent de plus en plus les salariés (ou du moins certaines catégories de salariés) à des fournisseurs à qui ils achètent un service. Le numérique permet de réduire les distances et de placer les salariés directement face au client. En télétravail, le salarié transmet son travail à son manager. Voire même, le plus souvent, il réalise son travail sous sa propre responsabilité. Est-il encore réellement subordonné ? La question se pose encore davantage avec le développement de nouvelles formes de travail indépendant. Subordination légale, subordination économique, pas de subordination du tout ?

Le numérique est constitué de technologies nouvelles et donc rares et complexes. Les salariés qui les maîtrisent ont, temporairement, un avantage important et sont donc moins dépendants de l’employeur. Un « codeur » réalise des lignes de code que pas grand-monde ne comprend et dont chacun dépend. Il n’a donc que peu de besoin de représentants du personnel tant qu’il domine un domaine rare et complexe. Quand la technologie change, il est alors en situation de risque et le représentant du personnel retrouve son utilité (GPEC). Les représentants du personnel vivent bel et bien la transformation numérique de l’intérieur. A eux de recréer de nouvelles formes d’intelligence et d’action collectives en s’appuyant sur les outils technologiques existants, à l’heure où, justement, le numérique attaque les collectifs de travail.

  1. Isolement Connectés, pas connectés, isolés ? L’isolement des travailleurs à l’ère du numérique Au travail comme dans le reste de nos vies, les TIC nous permettre d’être en contact permanent avec les autres. Cette possibilité qui nous est offerte conduit-elle à étendre nos relations ou au contraire à nous isoler en nous rendant moins disponibles ? Dans les entreprises, les TIC étendent nos périmètres de contact, de son service d’appartenance vers les autres par exemple. Cet élargissement de la coopération se fait-il au détriment des relations avec ses collègues proches ou non ? Quand je plaisante sur Snapchat avec Marie-Laure de la compta, est-ce que cela m’isole de mon voisin de bureau Djamel ? D’après plusieurs études recensées par France Stratégie dans son rapport sur l’impact des TIC sur les conditions de travail, il est difficile de conclure à un isolement des salariés favorisé par les TIC. Les salariés les moins bien équipés en outils numériques sont toutefois concernés par ce risque d’isolement : qu’ils soient mobiles comme certains livreurs, ou fixes comme les travailleurs d’un atelier de production qui restent en vase clos, certains travailleurs se trouvent à la marge de l’utilisation croissante du numérique au sein des entreprises. A l’inverse, d’autres salariés utilisant de façon plus intensive les outils digitaux peuvent paradoxalement se trouver isolés, mais c’est là le mode de management et l’organisation du travail qui est en cause. Les TIC peuvent en effet être utilisées pour augmenter l’intensité des sollicitations et le contrôle du travail, et réduire les temps de pause (rythmes). On retrouve ces travailleurs isolés regroupés sur un grand plateau en open space mais ne pouvant pas échanger entre eux. « L’open space m’a tuer », comme le titrait il y a quelques années un excellent contre-manuel de management… Les salariés qui sont à l’interface avec d’autres services mais ont peu d’échanges avec leur collègues proches, comme certains commerciaux ou certains métiers de la logistique, peuvent aussi se retrouver isolés. Il y a donc bien un risque. Les TIC modifient notre rapport au temps, mais aussi à l’espace. En fonction de leur taille et de leur organisation, les entreprises peuvent repenser les espaces de travail des salariés et proposer des alternatives à l’open space. Lorsqu’elles permettent la mise en place du travail à distance, les TIC peuvent également constituer un risque d’isolement. Le travail à distance peut prendre des formes diverses comme le télétravail à domicile, le nomadisme ou encore le co-working. Le pourcentage de salariés en télétravail serait passé de 6.7 % en 2006 à 16.7 % en 2012 (selon le rapport Mettling). Cependant ces chiffres ne font pas l’unanimité car l’étude Obergo de 2015 estime à 2 % seulement la proportion de télétravailleurs en France. Un chiffre qui étonne car – comme le confirme cette même enquête – 95% des salariés interrogés estiment que leur qualité de vie est meilleure en télétravail.

Du côté des employeurs, un intérêt également bien compris, puisque le travail permettrait d’augmenter la productivité. Malgré ces aspects positifs, ce mode de fonctionnement constitue une rupture de la relation physique avec les collègues et peut entraîner l’isolement de certains travailleurs. Soit parce qu’il entraîne un délitement du collectif, soit parce que la distance complique les échanges concernant les difficultés rencontrés par les salariés dans leurs tâches. Au-delà du cadre légal (Loi du 22 Mars 2012 et ANI de Juillet 2005 sur le télétravail), le rapport Mettling préconise donc quelques précautions : entreprendre une réflexion collective au niveau de l’équipe ou du service pour que le passage d’un salarié en télétravail ne perturbe pas l’organisation du travail, ou encore favoriser des jours de présence au sein des murs pour maintenir le collectif et éviter l’isolement du télétravailleur. Finalement, on retiendra qu’on a plus de chance d’être isolé lorsque l’on est ouvrier que lorsque l’on est cadre : 2 % des cadres se déclarent isolés contre 13.5 % pour les ouvriers. Certains secteurs d’activités sont plus touchés que d’autres (les transports, les services à la personne et les professions commerciales). Enfin les non-utilisateurs de TIC déclarent plus massivement être isolés (59,1%) que non isolés (23,3%). C’est donc plus la non-utilisation du numérique que son usage qui isole… Pour le moment ? En tout cas il faut bien voir que selon les catégories socio-professionnelles, les secteurs d’activité et le niveau d’utilisation des TIC, le numérique (son utilisation accrue par certains, le fait de ne pas développer les compétences numériques chez d’autres) peut nuancer ou accentuer l’isolement des travailleurs. Les CHSCT ont donc un rôle à jouer dans la prise en compte de ces facteurs de risques spécifiques à l’entreprise et aux différentes populations de salariés qui la composent. Le CE doit de son côté penser au développement professionnel des salariés et à la mise à jour de leurs compétences numériques par la formation tout au long de la vie (GPEC, IRP).

  1. Licorne L’économie numérique, ce pays fabuleux où galopent au vent des licornes féériques Le monde de l’économie numérique n’a d’yeux que pour elles : les licornes ! Cette expression désigne les start-up numériques non encore cotées en bourse, mais connaissant une croissance spectaculaire et des valorisations dépassant le milliard de dollars. En France, par exemple, la plus connue est Blablacar. On pourrait observer actuellement 154 licornes à travers le monde, selon le site CBInsight qui les repère en temps réel (un peu comme l’on signale périodiquement la présence de Nessie dans le lac du Loch Ness ?). On pourra les trouver le plus facilement dans leur écosystème d’origine, la Silicon Valley. Les licornes apprécient l’herbe verte de différents secteurs : les plateformes à la demande (Uber), les réseaux sociaux (Snapchat, Pinterest), les services en ligne (SurveyMonkey, Spotify, Dropbox), mais aussi les médias, la santé ou les jeux vidéos. Elles apprécient aussi l’argent qui coule à flot. Des investisseurs privés misent des sommes colossales sur ces licornes, qui atteignent des niveaux de valorisation sans commune mesure avec les profits qu'elles génèrent (certaines ne faisant même pas un centime de bénéfice). Ça ne vous rappelle rien ? De l’avis de nombreux observateurs, la bulle spéculative est toute proche. Plus de la moitié des entrepreneurs actuels n’ont pas vécu le krach survenu à la fin des années 1990, explique un capital-risqueur américain : « du coup, ils ne cessent de prendre des risques, toujours plus de risques ». Les investisseurs ont de nombreuses liquidités à écouler et craignent de passer à côté du « jackpot du siècle ». Le terme de licorne a été popularisé dans le monde des affaires en 2013 et se développe même dans le langage courant. « Il contient un élément de surprise, note une professeur de l’Université du Michigan : la chose dont nous sommes en train de parler, un job, un partenaire, etc., n’est pas seulement rare mais n’existe peutêtre pas du tout… ». Voudrait-on nous dire que ces milliards de dollars sont investis sur des êtres imaginaires ? Des créatures mythiques qui, hélas, meurent aussi. « Plusieurs licornes vont mourir cette année » affirmait l’an passé un investisseur américain (Homejoy). Eloignez les enfants de ces histoires de licornes, l’histoire se finira peut-être mal !

  2. Management Quel management du travail à l’heure du numérique ? La transformation numérique du travail bouleverse le management, ou du moins devrait y contribuer… Quel management du travail à l’ère digitale ? Le management classique, hérité des entreprises industrielles, ne cesse d’évoluer. Des postes de manager de proximité se sont développés ces dernières années, qui sont censés être au plus près des situations de travail. Pourtant, le management semble paradoxalement de plus en plus souvent coupé du terrain. Les outils numériques de contrôle à distance cadrent le travail de l’extérieur. La sociologue Marie-Anne Dujarier parle à ce titre de « management désincarné ». Les managers se trouvent à distance de ceux qu’ils managent, dans d’autres bureaux mais aussi à distance hiérarchique. L’auteur prend l’exemple d’un responsable informatique, qui conçoit des systèmes d’information pour des centres d’appels. Entre lui et le premier télévendeur, pas moins de six niveaux hiérarchiques et trois entreprises sous-traitantes sur deux continents ! Les managers sont ainsi amenés à encadrer des salariés dont ils n’ont qu’une image très imprécise de la réalité de leur travail. Moins de place pour le « feeling » essentiel, c'est-àdire « l’intelligence pratique » au cœur du travail réel (C. Dejours). Les salariés mais aussi les managers se plaignent de cette évolution ! Par le biais des nouveaux outils de contrôle à distance et de pilotage centralisé (messagerie, progiciels de gestion intégrés, ERP, visioconférence, etc.), la transformation numérique est justement ce qui rend possible cette évolution d’une entreprise autrefois centralisée, « verticale », vers une entreprise-réseau, plus « horizontale ». Comme l’écrit le rapport Mettling, « si les fondamentaux de ce qui fait un bon manager restent les mêmes – orientation/résultats et développement des personnes – les compétences managériales doivent évoluer pour intégrer les caractéristiques du management de projet, du management à distance, mais aussi de l’animation de communautés. C’est largement sur les managers de proximité, déjà très exposés par ailleurs, que repose concrètement une grande part de la réussite ou de l’échec de la transformation digitale » (p. 8). Les managers de proximité doivent ainsi répondre à la demande croissante d’autonomie dans le travail, relayée notamment par les salariés les plus jeunes. Ils doivent travailler à distance avec des salariés nomades ou en télétravail. Ils doivent aussi gérer des ressources externes, notamment des travailleurs indépendants plus ou moins ubérisés... Ils doivent enfin se placer dans des logiques de management de projet, fortement collaboratives. En clair, le management comme l’organisation du travail évolue. Adieu la hiérarchie centralisée de papa, bienvenue à l’organisation « agile » et collaborative ! Pour l’Ecole de Management de Grenoble, « si l’entreprise des années 60 peut être considérée comme un bloc unique, hiérarchique et centralisé, l’entreprise d'aujourd’hui ressemblerait plutôt à un ensemble de petites unités appartenant ou non juridiquement à la même société : ces différentes unités partagent des choses, des valeurs, des processus, ce qui permet à chacune d’évoluer dans la même direction. » Ces équipes, appelées « squads » dans l’entreprise du net Spotify, sont dirigées par des « coachs agiles » qui fixent des objectifs : à l’équipe de trouver le meilleur moyen pour y par- venir ! Anticipation, culture du changement, coopération, capacité d’animer des communautés… Votre équipe est-elle une « mini start-up » dans votre entreprise ? Votre chef est-il un coach agile ? Si oui, vous êtes entré dans le nouvel âge du management ! Cette évolution du management 3.0 reste toutefois plus un projet qu’une réalité. La culture managériale française continue de valoriser le présentéisme et ne sait pas comment gérer des collègues qui ne sont pas « sous la main » ou « sous les yeux »… Le management par objectifs reste davantage un facteur de stress et de compétition entre salariés que de coopération et d’innovation. Les managers sont eux-mêmes pris entre le marteau et l’enclume : on leur demande d’animer des équipes – pardon, des squads – mais ils n’ont pas ce temps… Patrons, managers ou coachs, encore un effort !

  3. Numérique (Economie) Economie numérique, ou numérique dans l’économie ? Il n’existe pas une définition de l’économie numérique qui fasse consensus. L’expression a ellemême beaucoup changé ces dernières années : nouvelles technologies, TIC ou NTIC, nouvelle économie… Les organismes de statistiques publiques (OCDE, INSEE, etc.) ne distinguent pas un secteur dénommé « économie numérique ». Celle-ci est assimilée aux technologies de l’information et de la communication (TIC), plus précisément à plusieurs secteurs : la fabrication des TIC (ordinateurs, composants électroniques, équipements de communication, etc.) ; la vente des TIC (commerce de gros d’ordinateurs, d’électronique, etc.) ; les services de TIC (télécommunications avec ou sans fil, services informatiques, édition de logiciels, création de sites internet, etc.). Une autre définition beaucoup plus large est donnée par l’Observatoire du numérique, un organisme paritaire. L’économie numérique intègre selon lui non seulement l’ensemble des secteurs producteurs des TIC (comme dans la définition précédente), mais également tous les secteurs utilisateurs qui se transforment avec le numérique : ainsi, le champ de l’économie numérique inclut également le e-commerce, mais aussi la santé, l’éducation, le transport, etc. « L’économie numérique ne se limite pas à un secteur d’activité en particulier. On devrait plutôt parler de "numérique dans l’économie" ». Cette approche très englobante pose en revanche de nombreuses difficultés quand il s’agit de mesurer le poids du numérique. Entre ces deux approches, l’Inspection générale des Finances a donné une définition intermédiaire qui fait consensus. L’IGF distingue d’un côté ce qu’elle appelle le « cœur de l’économie numérique », qui correspond aux secteurs producteurs de TIC (fabrication d’équipements, d’électronique), de services numériques (ESN, e-commerce, etc.) mais aussi les télécoms. Ce cœur représentait, en 2009, 5,2 % du PIB et 3,7 % des emplois (900 000 emplois). D’un autre côté, l’IGF distingue un ensemble de secteurs transformés par la numérisation de l’économie (comme la musique, la finance, les voyagistes, etc.), soit 12 % du PIB ; les secteurs qui ont dégagé des gains de productivité importants par le numérique mais qui n’ont pas encore été autant transformés que les précédents (distribution, automobile, administration, etc.), soit 60 % du PIB ; et enfin des secteurs peu ou pas touchés par la numérisation (22 % du PIB). Le rapport cite à cet égard des secteurs tels que l’agriculture ou les services à la personne, un constat désormais dépassé car ces secteurs sont aujourd’hui en pleine évolution grâce aux nouveaux outils (géolocalisation pour les agriculteurs ; plateformes d’économie à la demande dans les services à domicile – VOIR Homejoy). Ce qui montre bien que plus guère de secteurs économiques ne sont « pas ou peu » touchés par les transformations digitales.

  4. Numérique (Technologie) 00101001011101001011011010011110101* L’économie numérique renvoie à une technologie particulière : la technologie numérique (autrefois dénommée technologies de l’information et de la communication ou TIC – les deux dénominations étant pour nous semblables). Selon le Larousse, l’adjectif « numérique » fait référence à ce « qui relève des nombres, qui se fait avec des nombres, est représenté par un nombre ». D’un point de vue technologique, le numérique se définit comme une information représentée au moyens de caractères, tels que des chiffres ou au moyen de signaux à valeurs discrètes. Toutes les données qui nous entourent peuvent être transformées dans ce format. Ce qui rend possible la numérisation du monde, c’est d’abord l’augmentation des capacités informatiques de traitement de ces données (Big Data). Mais c’est aussi la baisse du prix des composants électroniques. Un microprocesseur de 2012 est six cent mille fois plus puissant que ceux de 1971, au moment de la création de cette technologie indispensable au traitement des données numériques. Le prix a dans le même temps connu une baisse du même ordre, expliquent P. Escande et S. Cassini. Aujourd’hui, « la moindre cafetière ou la plus modeste des cartes de fidélité » peut recueillir des milliers de données et connecter ces informations à internet ! Miniaturisation des calculateurs, logiciels de plus en plus complexes, capacité infinie de stockage des données (désormais localisées sur des « nuages » ou clouds), puissance du réseau qui s’améliore en permanence, enfin démocratisation des usages grâce à la baisse des prix : tout cela est aux racines de la révolution numérique.

  1. Objets connectés Mais comment un pèse-personne peut-il être intelligent ? Le terme d’ « objets connectés » renvoie à ce qu’on appelle parfois la troisième révolution du Web (ou Web 3.0). L’internet ne se contente plus d’être dans le monde électronique (dans mon ordinateur ou ma tablette) : il s’étend désormais dans le monde des objets, le monde de tous les jours ! Brosse à dent, cafetière, pèse-personne, compteur électrique : désormais tous ces objets du quotidien peuvent être connectés au web. A travers ce qu’on appelle aussi l’ « Internet des objets », des objets communiquent directement entre eux. Ma cafetière expresso peut me prévenir si j’arrive à court de dosettes. Aux Etats-Unis, Amazon avait lancé en 2014 une télécommande numérique (appelée Dash) permettant aux consommateurs de scanner les codes-barres de leurs produits préférés et d’une simple pression, passer commande. Amazon va aujourd’hui plus loin : avec les appareils Dash Replenishment Service (« réapprovisionnement »), il n’y a même plus besoin de cliquer sur un bouton : c'est la machine qui passe commande elle-même quand elle est à court de fournitures. Le stock de lessive diminue ? La machine à laver envoie directement la commande ! Cela fonctionne aussi avec les distributeurs automatiques de nourriture pour animaux ou encore pour les bandelettes utilisées pour contrôler son diabète. Etes-vous sûr de vouloir laisser votre numéro de carte bleue à votre réfrigérateur ? Les objets connectés se développent actuellement dans différents domaines, comme la e-santé ou le « quantified self » (la mesure de soi) – cette tendance à mesurer ses propres performances (ou contreperformances…), en matière de nombre de pas réalisés dans une journée, de qualité du sommeil, etc. Vous pouvez envoyer vos résultats de course à pied à vos amis sur les réseaux sociaux, comme faire surveiller vos indicateurs de santé par votre médecin à distance. Les assureurs se régalent déjà : ils pourront mieux calculer votre profil de risque. En attendant que ce soit votre propre voiture qui leur envoie directement les informations… Car le véhicule connecté, c’est déjà une réalité. Dans le domaine des « villes intelligentes » (smart cities), l’usage des objets connectés est prometteur : meilleur usage des infrastructures, meilleur éclairage urbain, meilleure gestion du tri des déchets, économies d’énergie, etc. L’internet des objets révolutionne aussi le domaine de la domotique. En 2014, Google a racheté une petite entreprise de thermostats intelligents, Nest, pour plus de 2 milliards d’euros. Mais que vient faire le géant de la recherche en ligne dans le marché du chauffage ? Nest produit notamment des thermostats connectés au Web permettant de surveiller à distance la température de sa maison via un smartphone. Cela illustre les stratégies de développement et de convergence des entreprises à l’ère numérique : après avoir développé des programmes (Google Maps, par exemple) puis avoir conçu ses propres tablettes, Google élargit sa conquête du monde en investissant les terminaux numériques. Thermostats donc, mais aussi montres connectées ou lunettes électroniques, les fameuses Google Glass dont la commercialisation a cependant été stoppée (Toshiba vient lui aussi d’arrêter la production de ses lunettes connectées). Le produit est au point techniquement, mais n’est pas acceptable socialement. Les porteurs de ces lunettes ont été vite appelés les « glassholes », que l’on pourrait traduire par les trous du c.. à lunettes… Mais qu’est-ce qui intéresse vraiment Google et consorts dans les objets connectés ? Que vous perdiez bien vos deux kilos avant l’été et que votre foyer soit à une température de 19°C quand vous rentrez du travail ? Avec les objets connectés, c’est toute une masse de données qui circulent (à votre insu ? Big Data) et sont captées par ces géants. Cela pose d’innombrables risques de détournement, de manipulation, d’usages illégaux de ces informations. Pendant que vous surveillez votre poids avec votre pèse-personne intelligent, qui contrôle les données que vous laissez sur le web ?

  2. Plateforme Les plateformes numériques, entre économie collaborative et économie capitaliste Les plateformes sont au cœur de l’économie numérique. D’un point de vue général, il s’agit d’intermédiaires accessibles en ligne (via ordinateurs, smartphones, tablettes ou autres) permettant de rapprocher offreurs et demandeurs en matière d’accès à des informations, des contenus, des services ou biens. La plateforme gère l’interface technique et la mise en ligne de ces contenus. Vous recherchez un vélo d’occasion, une perceuse à prêter, une semaine au ski, une baby-sitter pour samedi soir ? Il y a de grandes chances qu’une plateforme existe déjà ! (si ce n’est pas le cas, vous venez peut-être de trouver un concept disruptif qui fera de vous la prochaine licorne d’internet…) Internet permet d’abolir le temps et les distances. D’un point de vue économique, il rapproche directement vendeurs et acheteurs. Ces derniers peuvent comparer l’ensemble des prix disponibles. Certaines plateformes ont émergé dans la première vague d’internet pour devenir des acteurs incontournables. Les secteurs des voyages ou de l’hôtellerie ont ainsi été complètement bouleversés par l’arrivée de ces intermédiaires en ligne (voyages-sncf.com, expedia.com, etc.). Les marchés sont plus transparents, mais cela reste des marchés entre des professionnels (compagnies de train ou agences de voyage) et des particuliers. La « plateformisation » actuelle de l’économie renvoie à une dimension nouvelle : des formes de collaboration et d’échanges marchands entre particuliers eux-mêmes. Il faut ainsi distinguer plusieurs types de plateformes. D’un côté, l’économie du partage à proprement parler : des particuliers échangent des biens et services entre eux, dans une logique d’économie « réellement » collaborative, sans but lucratif (covoiturage via Blablacar, partage d’un canapé pour accueillir des visiteurs via des sites de couchsurfing, etc.). D’un autre côté, des plateformes de services à la demande qui viennent créer un nouveau service. La plateforme vient vendre ce service. Uber en est l’archétype. Certains particuliers vendeurs de services se transforment, bon gré mal gré, en professionnels. Ces plateformes contribuent à faire croître le travail indépendant. Une autre distinction peut être faite. Elle tient à l’origine de la richesse créée par ces plateformes. Certaines tirent leur valeur du travail de leurs utilisateurs, les autres font fructifier leur capital. Uber et Airbnb, les plateformes les plus connues aujourd’hui, n’ont à ce titre rien à voir. Selon une étude réalisée par une banque américaine, on aurait donc d’un côté les plateformes sur lesquelles un travailleur indépendant propose ses services, et donc sa force de travail (Uber, mais aussi tous les sites de « jobbing », gig economy) ; de l’autre, celles sur lesquelles un loueur ou un vendeur propose un bien (un appartement à louer, un bien à vendre). Dans ce dernier cas, le particulier fait fructifier son capital, pas son travail. Derrière les plateformes numériques, un nouvelle épisode de la guerre Capital/Travail… Les plateformes se développent aujourd’hui dans un nombre croissant de secteurs, et pas uniquement dans les deux secteurs les plus médiatiques du déplacement (Airbnb) et de la mobilité (Uber). Le rapport Terrasse sur l’économie collaborative distingue ainsi neuf secteurs d’activité où se développent les plateformes numériques : outre se loger et se déplacer, se nourrir (La Ruche qui dit Oui), s’équiper (Le Bon Coin), se financer (KissKiss BankBank), stocker des objets, se divertir, s’habiller ou se faire aider. Certains secteurs sont devenus très concurrentiels et le recours à des plateformes est devenu un mode de consommation à part entière. Des acteurs généralistes comme Le Bon Coin, outre le vaste marché de l’occasion, devient également un acteur central du recrutement (concurrençant directement Pôle Emploi) ou de la mise en relation pour des services à la personne. Le syndicalisme devrait encourager les formes réellement collaboratives d’usage de ces plateformes, qui contribuent à recréer du lien entre les personnes et à créer de la valeur d’usage. Ce sont par contraste les plateformes de travail à la demande qui créent le plus d’angoisses aujourd’hui, résumées dans la peur de l’ « ubérisation » : en clair, un contournement du salariat au profit de travailleurs indépendants en réalité dépendants de la plateforme donneuse d’ordre ; l’irruption de plateformes à visée capitaliste et lucrative transformant la valeur sociale de ces échanges (pour les individus) en valeur économique (pour les quelques actionnaires de la plateforme…). Airbnb crée de la valeur d’usage pour le bénéficiaire du service (un logement à prix abordable) « mais elle garde pour elle et ses actionnaires tous les bénéfices de sa valeur d’échange », peut-on lire dans une tribune critique. Ces plateformes ne sont pas des zones de non-droit, rappelle le rapport Terrasse (en matière de mise en vente de biens d’occasion sur Le Bon Coin, de location de son appartement sur Airbnb, de service de transport via Uber, etc.), même si la frontière entre démarche professionnelle ou commerciale et pratiques occasionnelles devient ténue. Ces plateformes correspondent d’un côté à des nouvelles aspirations, avec potentiellement des effets bénéfiques sur le lien social ou l’environnement, mais d’un autre côté peuvent encourager un modèle social dégradé… Les plateformes peuvent s’avérer très instables. De quel côté va pencher la balance ?

  3. QVT Les organisations numériques sont-elles solubles dans la qualité de vie au travail ? (ou bien est-ce le contraire… ?) Les prémices des organisations numériques que nous pouvons observer (travail en réseau, travail collaboratif horizontal, travail à domicile, etc.) amènent à nous interroger sur les conséquences quant aux conditions de travail des salariés. Quels cadres pour réguler ces évolutions ? On peut faire d’ailleurs l’hypothèse suivante : les organisations des entreprises connaissent ou connaitraient prochainement une rupture dans leurs organisations, consécutive au déploiement du numérique, de l’ampleur de celle qui a conduit à un passage du modèle fordien au modèle post-fordien dans le courant des années 1980. Depuis les années 1980, un certain nombre d’évolutions majeures dans le champ social sont venues accompagner le déploiement du modèle post-fordien : rééquilibrage des prérogatives entre organisations syndicales et instances représentatives du personnel, plus grand champ offert à la négociation, volonté de mieux anticiper les évolutions, importance de plus en plus grande des questions de santé au travail dans le dialogue social. L’accord national interprofessionnel de juin 2013 sur la qualité de vie au travail est apparu auprès de nombreux observateurs comme un accord un peu fourre-tout, à la fois novateur et recouvrant des champs déjà prévus dans le cadre d’autres négociations obligatoires. On peut penser que, sous ses multiples aspects, cet accord cherche à embrasser à la fois les problématiques de conditions de travail liées aux modèles fordiens et post-fordiens. Il affirme aussi une volonté de réguler les problématiques de conditions de travail liées au modèle numérique, ou du moins de le tenter. Il y a donc une dimension beaucoup plus systémique dans cet accord qu’une dimension fourre-tout. Mais au fond, quelles sont les principales conséquences sur les conditions de travail à ce jour envisageables des organisations numériques ? Sans prétention d’exhaustivité, nous pouvons au moins en proposer quatre. L’infobésité (plus prosaïquement l’explosion des NTIC et de l’information disponible) est la plus évidente. L’évaluation de la charge de travail (rythmes de travail), déjà plus difficile dans le modèle post-fordien, peut s’avérer impossible dans les organisations numériques. Le lieu de travail, l’espace de travail – la plupart du temps clairement identifiés dans les modèles fordiens et post-fordiens – deviennent plus diffus : on peut travailler à domicile (télétravail) comme on peut travailler au sein de l’entreprise mais ne plus avoir de bureau affecté. Enfin, la question managériale ( management), le lien avec la hiérarchie, est bien évidemment modifiée dès lors que se déploient des modes de gestion par projets collaboratifs et horizontaux ( collectifs de travail). La qualité de vie au travail a-t-elle encore une place ? Que peut-elle être ? Comment peut-elle être régulée ? Gageons qu’à l’aube de transformations dont il est difficile d’envisager l’ampleur et le terme, la régulation sera à la fois institutionnelle (encadrée par des évolutions juridiques, les prérogatives actuelles de la CNIL constituent déjà un premier pas) et négociée dans le cadre de l’entreprise.

Il apparaît important que les partenaires sociaux s’emparent du sujet et soient vigilants dès à présent sur les conséquences prévisibles de ces transformations sur les conditions de travail. Sans attendre des évolutions législatives à venir, la particularité de chaque entreprise pousse à s’emparer de la négociation sur la QVT, a minima sur les quatre conséquences évoquées ci-dessus. Pour lutter contre l’infobésité, le droit à la déconnexion peut être envisagée. Des espaces de travail collaboratifs au sein de l’entreprise peuvent être dédiés. Compte tenu de la vitesse à laquelle les changements s’opèrent, le management – entre autres par le biais de réunions d’échanges sur le contenu du travail (expression des salariés) – peut être le premier régulateur de ces changements. Le modèle numérique est dual : on peut y voir un prolongement du modèle post-fordien par l’accentuation du degré d’autonomie des salariés, mais on peut aussi y voir l’accomplissement du modèle fordien par l’assujettissement du salarié à l’entreprise par les biais des technologies numériques. Début avril 2016, le magazine Liaisons Sociales rapportait le cas du site flambant-neuf de Gentilly de l’entreprise Sanofi. Les 3 000 salariés font désormais l’objet d’un suivi anonymisé de tous leurs déplacements dans les locaux, à travers l’utilisation d’une puce RFID. « Insérées sur les porte-badges, cellesci tracent le moindre mouvement : arrêt en salle de pause, déambulation dans les couloirs, passage au quatrième étage, pause pipi… ». Selon la direction de l’entreprise, l’objectif de ce suivi est de « gérer de façon simplifiée l’occupation de l’espace, comme la disponibilité des salles de réunion, des bulles, les heures d’affluence aux restaurants d’entreprise ». Difficile à ce stade d’explorer plus loin les dilemmes posés par ce nouveau système, qui pose la question de la surveillance des salariés. Encore une fois, un projet imposé de haut en bas, sans que ses objectifs soient compris. Cet exemple illustre bien à la fois la spécificité des déploiements numériques pour chaque entreprise et, conséquemment, l’utilité d’une négociation sur la qualité de vie au travail. Dans le cas présent, négocier la QVT concerne autant l’outil numérique que les espaces de travail ou les horaires de travail. Si l’on s’en saisit bien, la QVT peut donc être l’occasion de porter un regard large et systémique sur le travail, donc, et non une approche fourretout.

  1. Retard La France souffre-t-elle de multiples retards face la transition numérique ? C’est la thèse que défend Nicolas Colin, énarque, inspecteur des finances, créateur d’incubateur de start-ups et expert reconnu des transformations numériques, dans un essai provocateur paru fin 2015 et qui n’est pas passé inaperçu. Selon ce rapport intitulé La richesse des nations après la révolution numérique, la France joue en deuxième ou troisième division et ne capte qu’une part très minime de la valeur ajoutée créée globalement par l’économie numérique. Pourtant, elle aurait les moyens de faire bonne figure en première ligue. Pour cela, il faudrait mettre en place des réformes institutionnelles d’ampleur pour permettre aux start-ups de pouvoir grandir et affronter les géants américains. Faire nos adieux à l’ancien monde de la politique industrielle, fait grosso modo d’alternances entre relances keynésiennes et baisses du coût du travail. Et « embrasser un nouveau paradigme », celui de la transition numérique. Hélas, la France est « victime d’une conception dépassée de l’économie et de la politique industrielle », tempête N. Colin. L’Etat industriel pense encore pouvoir intervenir sur le marché des TIC à grand coups d’achats publics. Le système de financement de l’économie est décalé : les banques peuvent financer des projets d’innovation, mais sont « incapables de financer une entreprise cherchant à pratiquer une innovation de rupture », qui par définition n’a ni business plan ni garanties. Le secteur du capital-risque est quant à lui trop petit en volume pour assurer ce travail ; il ne parvient pas à attirer suffisamment d’investisseurs privés nationaux ou étrangers. Notre conception de l’innovation elle-même serait dépassée selon l’auteur. Non, l’innovation ce n’est pas la R&D ! La R&D ne concerne en fait que les entreprises devenues grandes, qui cherchent à renouveler et optimiser leurs produits. Or, les startups n’ont que faire de R&D : leur souci est d’amorcer et de financer leurs innovations de rupture. L’innovation, de plus, n’est pas qu’une affaire de chercheurs ou d’ingénieurs : il s’agit moins souvent d’une affaire de technologies très poussées que d’accès « disruptif » à des marchés hypercompétitifs. Il faut donc allouer l’épargne au financement de l’innovation de rupture « plutôt que de la laisser se nicher dans les actifs immobiliers » et « soutenir les entreprises innovantes face aux entreprises en place ». Les grandes entreprises sont bridées par des handicaps structurels, que le professeur de management Clayton Christensen (disruption) a qualifié de « dilemme de l’innovateur » : une entreprise leader sur un marché a tout à perdre de se lancer dans une innovation de rupture et préférera ne rien changer à son modèle qui, jusque là, fonctionne… De leur côté, les start-ups sont nombreuses en France, mais ne parviennent pas à grandir. Pourtant, ce sont bien les start-ups ainsi que les scale-ups (ces entreprises qui restent en croissance) qui permettent de créer de la valeur ajoutée et des emplois. « La France ne peut donc se satisfaire de startups restant enfermées dans leur garage : elle doit mettre son droit au service de leur croissance, pour qu’un plus grand nombre s’amorcent et que certaines d’entre elles finissent par dominer l’économie numérique globale. »

Ce travail plutôt libéral au ton volontairement offensif insiste néanmoins sur la nécessaire mise en place des « bonnes institutions » pour couvrir nos nombreux retards, y compris en ce qui concerne la protection sociale (pour l’auteur, avec la fin du travail de masse, demain nous serons peut-être tous des intermittents du numérique… indépendant). Il faut donc couvrir ces nouveaux risques. L’auteur prône aussi une nécessaire révolution intellectuelle pour penser ce nouveau monde, à laquelle pourraient – et devraient – participer les partenaires sociaux, malheureusement eux aussi « dépassés » par ce qui se passe : « la transition numérique est une réalité, mais elle ne les concerne pas directement, voire les menace ». Notre maison est ubérisée et nous regardons ailleurs, aurait pu dire Jacques Chirac en 2016. « Ni les salariés ni les employeurs ne vivent la transition numérique de l’intérieur » écrit Colin, alors que, placés aux premières lignes, ils pourraient davantage s’emparer de ces questions et formuler diagnostics et revendications (sur l’emploi, la compétitivité, les conditions de travail) basés sur l’expérience réelle du terrain. On vous l’avait dit, un essai provocateur !

  1. Rythmes de travail Plus vite, plus haut, plus fort Nous avons vu plus haut la question de l’autonomie des salariés dans l’ère numérique. Difficile de savoir si les technologies de l’information et de la communication (TIC) renforcent ou restreignent cette autonomie. Cela dépend beaucoup du type de salariés et du modèle de management. Un ordinateur n’augmente ou ne diminue pas, en soi, l’autonomie du travailleur : c’est ce qu’on demande à ce dernier de faire avec cet outil qui va jouer. Quand on s’intéresse à l’impact du numérique sur les conditions de travail, se pose aussi la question essentielle des rythmes de travail. On peut considérer plusieurs dimensions : l’immédiateté des réponses à apporter à des demandes ; les délais et pointes d’activité ; l’imposition de cadences ou d’interdépendances (voir le rapport de France Stratégie). Les TIC obligent en effet d’abord à de nouvelles temporalités dans le travail, essentiellement des injonctions à répondre en temps réel aux sollicitations extérieures. De nouvelles cadences vont être prescrites, notamment dans le secteur des services qui emprunte les logiques de rationalisation et les outils de planification de l’activité au monde industriel (lean management mis en œuvre par des outils de type workflow ou PGI). Les demandes extérieures viennent des clients mais le plus souvent des collègues. Les e-mails renforcent la multiplication des sollicitations en temps réel. Cela peut même se produire sans qu’il y ait de demande explicite de répondre immédiatement à ces sollicitations : il s’agit d’une culture d’ « autoaccélération » des rythmes de travail. Personne n’est gagnant au final à ce modèle de surcharge informationnelle (infobésité). Comme l’indique le rapport de France Stratégie, ce n’est pas en soi le dispositif technique qui induit ce type d’effet pervers généralisé. Cela provient des modèles d’organisation du travail et des types de relations entre collègues. « Les TIC sont ici un relais, un révélateur, voire un amplificateur de politiques de gestion qui morcellent les collectifs ». D’une façon générale, l’introduction de technologies numériques dans les entreprises répond à un souci de productivité, ce qui vient souvent intensifier les rythmes de travail. Il convient ensuite de regarder la nature même de l’activité et l’évolution des rythmes spécifiques du travail. On constate régulièrement des activités où les rythmes sont plus tendus, et combinés avec une moindre latitude dans le travail (autonomie). Le réparateur de photocopieurs prend ses ordres depuis son smartphone, communique en tant réel l’avancement de son travail, tandis qu’un logiciel programme le reste de son planning et que son responsable peut vérifier sa géolocalisation. En termes d’intensification de la charge, on constate un impact de ces rythmes sur la charge cognitive : nombreuses informations à traiter de façon instantanée, multiples sollicitations simultanées, etc. Certains métiers sont confrontés à un risque réel de surcharge informationnelle d’autant plus fort qu’il s’agit de métiers avec des effectifs en réduction, en raison même de l’informatisation de la tâche. Il y a moins de personnel d’accueil au guichet, moins d’assistants dans les entreprises : ces professions doivent traiter plus de demandes et répondre à des sollicitations de toutes parts, avec réactivité et le sourire s’il vous plaît. France Stratégie cite une étude anglaise montrant également que les salariés dérangés en permanence par l’arrivée de courriels ou par des appels téléphoniques, tout en continuant à travailler, perdent de l’ordre de 10 points à des tests de QI, soit les conséquences d’une nuit sans sommeil (cette étude a même – abusivement selon son auteur – été présentée comme insinuant que l’ « infobésité » serait pire que la prise de cannabis). Le capitalisme et le numérique « à l’assaut du sommeil », pour reprendre le titre d’un récent et incisif ouvrage ? D’autres études montrent que le travail en multitâche, loin d’augmenter la productivité, contribue à la réduire. En résumé, ce ne sont pas les TIC qui ont inventé les cadences et les rythmes de travail. Mais ce sont des outils qui peuvent accélérer ces rythmes, surtout dans le domaine cognitif qui reste souvent dans l’ordre de l’impalpable à l’œil nu. Et la prochaine fois que Barbara du marketing vous demande de répondre immédiatement à son courriel, dites-lui que vous venez tout juste d’enfiler

  2. Santé Quelle politique de santé au travail et de prévention des risques à l’ère numérique ? Difficile d’avoir une réponse unique à cette question. Le management de la santé est actuellement le parent pauvre de nombreuses entreprises, dans le secteur tertiaire notamment. Là où l’industrie a très tôt intégré à ses méthodes un pilotage centralisé de la santé et de la sécurité au travail, les entreprises de services restent souvent (mis à part de grandes entreprises dotées de services RH fournis et suivant une réelle démarche de prévention) sur une forme de déni. Il n’y a pas de chaînes de production, il n’y a pas de boulons à visser, nous ne sommes pas dans l’industrie : le travail ne peut pas faire mal. Récemment, ces entreprises se sont penchées sur ce qui paraît être la face émergée de l’iceberg, à savoir les crises relevant des risques psychosociaux (RPS). Prise de conscience indispensable mais incomplète, et le plus souvent one-shot. Le nombre d’entreprises de services ayant investi le terrain de la prévention primaire et du management de la santé au travail est réduit. Le même constat pourrait être également établi pour nombre de PME ainsi que la fonction publique, pour d’autres motifs. Au sein des PME, le premier obstacle à la mise en œuvre d’une politique de santé au travail tient à la taille de l’entreprise. Il n’est pas aisé de dégager une personne sur tout ou partie de son temps de travail, chargée de définir et d’animer la prévention des risques et la qualité de vie au travail. Concernant la fonction publique, la culture santé au travail est naissante dans nombre d’administrations (cf. la signature de l’accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique en 2009). Seule la fonction publique hospitalière était dotée de CHSCT avant le 1er janvier 2014. Dans les fonctions publiques d’Etat et territoriale, l’instance a tout juste 2 ans. Pourtant, les salariés de ces établissements et entreprises sont tous ou presque concernés par la transformation numérique du travail. Aux sources mêmes de la problématique des RPS apparue ces dernières années, on peut lister plusieurs facteurs de risques directement issus de cette transformation numérique : renforcement du contrôle du travail par des outils de quantification de l’activité (reporting permanent, planification quasi industrielle du travail, VOIR autonomie), intensification du travail et des rythmes par l’utilisation d’outils numériques important les excès du lean management dans la sphère des services, multiplication des connexions professionnelles et sollicitations permanentes portant atteinte à l’équilibre de vie et à la santé des salariés, etc. La transformation numérique des conditions de travail ne ferait donc qu’accentuer cette problématique de santé au travail, dans un contexte où les politiques de prévention et de management de la santé au travail sont pour le moins disparates et incomplètes. De plus, le numérique tend à favoriser de nouvelles formes d’activité, notamment le travail à distance. Comment protéger la santé d’un collaborateur qui travaille de chez lui ? Comment vérifier qu’il respecte le temps de repos quotidien (11 h) ou hebdomadaire (35 h) ? Le rapport Mettling rappelle qu’il est de la responsabilité de l’employeur d’assurer le respect de la santé et la sécurité des salariés, notamment en garantissant les temps de repos.

Il est aujourd’hui indispensable de construire une politique de prévention nouvelle et adaptée, pour les salariés nomades comme pour les sédentaires. Comme le rappelle ce rapport, il y a des apprentissages à construire, une culture préventive est possible. « Savoir se déconnecter au domicile est une compétence qui se construit à un niveau individuel (…) mais qui a besoin d’être soutenue au niveau de l’entreprise (ex. chartes, actions de sensibilisation), ainsi que par des contextes collectifs favorables (ex. réciprocité entre les salariés). Le droit à la déconnexion est donc bien une coresponsabilité du salarié et de l’employeur qui implique également un devoir de déconnexion ». Développer ainsi un devoir de déconnexion (et pas seulement un droit, VOIR droit à la déconnexion), renforcer le collectif au sein des entreprises, aménager les espaces du travail digital, etc. : plusieurs pratiques observables dans des entreprises peuvent faire office de recommandations pertinentes. De même, s’il est plus difficile de mesurer la charge psychique ou cognitive que la charge physique du travail, il existe néanmoins des méthodes utilisées permettant un diagnostic précis. Comment le travailleur régule-t-il son travail ? Est-il en situation de débordement ? Comme nous le disons dans notre entrée sur le management, ce n’est pas en soi les outils numériques qui sont facteurs de stress, de surcharge de travail ou de déséquilibre vie privée-vie professionnelle : c’est la façon dont ils sont managés. La commission Mettling préconise ainsi de repenser le rapport au temps de travail (notamment dans le cadre du forfait-jour) et de le compléter par une analyse précise de la charge de travail. Le management de proximité doit jouer un rôle central dans cette politique de prévention. « Il s’agit de promouvoir la vigilance des acteurs du réseau de prévention santé sur l’ensemble des risques professionnels liés aux nouvelles formes d’organisation et à l’utilisation de nouveaux outils. » L’enjeu : penser dès à présent les changements dans le travail et des métiers, pour faire de la transformation numérique un levier pour introduire une culture de prévention et une visée d’amélioration de la qualité de vie au travail.

  1. Surveillance Ce que le droit dit de la surveillance de vos courriels… Les moyens et outils mis à disposition des salariés pour les besoins de leur activité professionnelle offrent de nombreuses possibilités de contrôler leur activité : contrôle des sites consultés, des messages envoyés et reçus, etc. La conciliation des intérêts de l’entreprise, des pouvoirs de l’employeur avec le respect de la vie privée du salarié se retrouve fréquemment en débat devant les juges. Force est de constater que la vie privée du salarié cède généralement le pas. La Cour de cassation retient que les connexions établies par un salarié sur des sites Internet pendant son temps de travail, grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail, sont présumées avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, hors de sa présence. Tous les sites consultés sur internet par un salarié sont accessibles à son employeur. Aucune privatisation, aucune sanctuarisation n’est possible. Il n’y a pas de vie privée possible sur internet avec des outils appartenant à l’entreprise. En France, la CNIL préconise que les consultations à titre personnel ne dépassent pas un délai raisonnable et que les consultations ponctuelles de sites Internet ne concernent, sur le lieu de travail, que des sites dont le contenu n'est pas contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs. Nombre de chartes informatiques rappellent ces principes ainsi que la tolérance dont bénéficient les salariés pour une utilisation personnelle raisonnable des moyens de communication professionnels. En 2001, la Cour de cassation a reconnu au salarié le droit au respect de sa vie privée au travail : l'employeur ne peut prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci, même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur. Un conseil donc : pour qu’ils soient protégés, les messages personnels doivent être identifiés comme tels, en précisant dans leur objet « Personnel » ou « Privé » ou en les stockant dans un répertoire également intitulé « Personnel » ou « Privé ». L’employeur ne peut alors pas y avoir accès, sous peine d’être poursuivi pénalement pour atteinte à la vie privée. Tout courriel, SMS, dossier ou fichier qui n’est pas identifié comme personnel est présumé professionnel, ce qui donne la possibilité à l’employeur d’en prendre connaissance quand il le souhaite, même en dehors de la présence du salarié. La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans une hypothèse où toute utilisation personnelle de la messagerie professionnelle était interdite, a jugé le 12 janvier 2016 (Barbulescu v. Romania, Aff. 61496/08) que le licenciement d’un salarié n’ayant pas respecté cette obligation était valable. Dans cette affaire, l’employeur avait consulté la boîte mail du salarié et constaté que de nombreux messages étaient d’ordre personnel. Pour la CEDH, et dans les circonstances de l’affaire, la surveillance des mails par l’employeur ne contrevient pas au droit au respect à la vie privée et des correspondances, prévu par l’article 8 de de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Enfin, n’oubliez pas que, comme sur Facebook (voir l’entrée : Ai-je le droit de dire du mal de patron sur Facebook ?) ou les réseaux sociaux, vous ne pouvez pas impunément dénigrer votre hiérarchie, quand bien même vous auriez écrit « Privé » en lettres majuscules…

  2. Syndicalisme Quelle pensée syndicale face aux enjeux complexes de l’économie numérique ? L’attaque est venue du camp d’en face. En juin 2015, le vice-président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, affiche sa pensée : « je ne vois pas chez les syndicalistes et nos partenaires syndicaux une prise de conscience des enjeux du numérique. On ne vit pas dans le même monde. Nous sommes confrontés par nos clients, par nos concurrents, à ces menaces ou opportunités digitales toute la journée, donc nous n’avons pas vraiment le choix. Je ne crois pas que les organisations syndicales soient dans ce contexte-là… La désyndicalisation que l’on observe dans le privé en est un marqueur. Elle est surtout visible chez les jeunes, qui considèrent que c’est sur Facebook ou sur Twitter qu’ils vont aller se défendre, en dehors de toute institution. Le modèle social français est le dernier à se numériser. » Les syndicats, à des années-lumière des transformations numériques en cours ? La charge est lourde. Nicolas Colin met lui syndicats et patronat dans le même sac : « Ni les salariés ni les employeurs ne vivent la transition numérique de l’intérieur », écrit-il, reprochant aux employeurs de ne considérer que la solution-miracle de la compétitivité-prix (« il faut baisser les charges ! »), sans se préoccuper nullement de ce qui fonde les nouveaux business models : les innovations de rupture ou de disruption. Il est difficile pour les syndicats de parvenir à développer une pensée complexe sur un sujet qui évolue constamment et brasse des enjeux multiples : nouvelles technologies, évolution du travail, de l’emploi… Il faut être à la fois spécialiste du net et du Big Data, fin connaisseur du droit du travail et du droit commercial, économiste de l’innovation et de la fiscalité, observateur des usages créés par les nouvelles et anciennes générations… Pour l’UNSA dans un numéro spécial de son magazine consacré au numérique, « la transformation numérique est une opportunité pour développer et moderniser le fait syndical en apportant des outils supplémentaires de communication et d’information pour les représentants du personnel ». Dans un rapport interrogeant le dialogue social à l’ère du numérique, l’ORSEU a identifié différents types d’appréhension de l’objet « économie numérique » par les syndicats. Certains adoptent une lecture très « industrielle » et se placent dans une défense de l’outil de production national. Dans cette lecture l’Etat joue un rôle d’encouragement du secteur productif, notamment par le biais de la dépense publique ou d’appels d’offres. Cette approche industrielle peut se concentrer sur certains secteurs productifs liés de près à la production numérique (fabrication d’équipements numériques, services informatiques) ou être plus transversale (comment tous les secteurs sont touchés de près ou de loin par ces transformations). D’autres syndicats adoptent une lecture davantage « servicielle » et regardent les multiples transformations rendues possibles par le numérique : évolution des modèles de commercialisation, de distribution, des médias et de la culture, des manières de travailler, du rapport à la citoyenneté, etc. Il est donc faux de dire que les syndicats regardent les clouds passer… Leur pensée est fatalement amenée à évoluer. Il y a plus d’un an, nous avions ainsi interrogé des syndicalistes spécialistes des questions numériques (par exemple membre du conseil stratégique de filière numérique ou négociateur de branche dans les télécoms ou l’informatique). Personne ne parlait encore d’ « ubérisation » ! Aujourd’hui, ce terme est partout. Comme on peut le voir par exemple dans l’annexe du rapport Mettling (un des rares rapports publics, soit dit en passant, qui leur donne la parole), les syndicats insistent bien désormais sur les nouvelles protections à imaginer face aux évolutions notées dans le rapport : travail nomade, développement du télétravail, montée des formes de « salariat indépendant », etc. Evidemment, on pourra dire que cela reste de l’ordre de l’injonction et pas encore des propositions concrètes. Sur la forme, et non plus sur le fond, une réflexion actuelle parcourt les syndicats sur un « syndicalisme 2.0 » capable de restaurer un lien entre syndicats et salariés, dans un contexte de désaffection de ces derniers pour le syndicalisme si l’on en croit les sondages d’opinion. Demain, les adhérents seront-ils des followers ? Certains observateurs notent que les syndicats sont absents du premier réseau professionnel, Linkedin. « On pourrait penser que les syndicats y seraient très présents, à la fois pour capter l'air du temps mais aussi pour y effectuer ce qui constitue leur travail : informer, convaincre, transformer les mouvements individuels en revendications collectives, recruter des adhérents. Il n'en est rien », note Martin Richer, qui pose trois questions : « comment, dans un pays où l'on se plaint du faible taux d'adhésion au fait syndical, peut-on ne pas tenter d'exploiter ce formidable outil de lien, de communauté ou d'adhésion que représente le Web 2.0 ? Pourquoi les syndicats qui se plaignent tant d'être malmenés par les médias, ne s'emparent pas d'un espace de communication qu'ils pourraient maîtriser ? Pourquoi n’exploitent-ils pas le potentiel d’engagement du Web 2.0 pour appuyer leurs revendications ? » Alors, les syndicats, pourquoi ?! Ce retard – tempéré par certaines pratiques néanmoins dynamiques de dialogue social 2.0 – est d’autant plus surprenant que ce les syndicats sont historiquement fondés sur une « culture du réseau ». « Le réseau militant est quelque chose qui a été inventé par le syndicalisme ! dit Hervé Jégouzo. Les réseaux sociaux peuvent être les Bourses du Travail du XXIe siècle et ce serait un bel hommage de la modernité à l’histoire du syndicalisme ». Des formes d’ « open syndicalisme » permettent de partager et d’échanger sur des sites dédiés, et de créer les conditions numériques d’une mobilisation des salariés. L’expression (et le mécontentement) des salariés passe désormais par des sites de pétition en ligne. On l’a vu récemment avec le projet de loi Travail ! Le mouvement américain Occupy dépasse les seules organisations syndicales et s’appuie sur les réseaux sociaux. Aux Etats-Unis toujours, l’AFL CIO, premier regroupement syndical, a créé Working America. Le but : regrouper des futurs sympathisants plutôt idéologiquement éloignés et indépendamment de leur lieu de travail. Faire venir tous les salariés à la cause syndicale via le web et Twitter ? Et quid des non-salariés qui travaillent à la demande et des indépendant ubérisés ? Quand Amazon double la commission qu’il prélève sur sa foule de petits travailleurs, la révolte se limite à des messages anonymes de colère sur internet. En Allemagne, le syndicat IG Metall vient cependant de créer une plateforme en ligne, Faircrowdwork.org, ciblant les travailleurs du numérique et les crowdworkers. Principe repris à l’économie des petits boulots : aux travailleurs de noter leur employeur. Une hotline permet d’avoir des informations sur ses droits. Le syndicat poursuit par ailleurs son combat pour une sécurité et une protection de ces « jobs ». En France, l’UGICT-CGT a également lancé une plateforme en ligne regroupant les différentes publications de la centrale, jusqu’aux blogs des sections cégétistes. De leur côté, les chauffeurs de VTC menacés par Uber ont créé un syndicat UNSA, sous une forme nettement plus classique. « Les syndicats traditionnels ont encore des ressources », dit Aaron Sojourner, un économiste américain spécialiste du syndicalisme. « Ils peuvent faire bouger les choses, peut-être davantage qu’un groupe d’individus ». A eux de trouver la formule d’un syndicalisme alternatif.

  3. Tableau numérique interactif Fans de présentations Powerpoint, au tableau ! A chaque époque, son outil pédagogique ! Il y a eu le tableau vert des instituteurs, le bruit des craies qui crissent et les doigts tout blancs. Puis le tableau blanc et les feutres qui, bizarrement, sont toujours en fin de vie. Les rétroprojecteurs de 10 kg et les transparents qui collent et se mélangent. Les paperboards qui firent la gloire des formateurs, quand ceux-ci parvenaient à tourner correctement les pages vers le haut. Enfin, le temps joyeux des diaporamas inutilement animés, écrits en police 10 et donc illisibles, timidement présentés par un orateur qui ne lève pas la tête de son ordinateur… Voici donc qu’arrivent aujourd’hui les TBI (tableaux blanc interactifs) dits aussi les TNI (tableaux numériques interactifs) ! Un peu à la manière d’une tablette géante, tout un ensemble de contenus (présentations, graphiques, vidéos, visioconférence, etc.) seront disponibles en un simple mouvement de doigt. Les adeptes de présentations désordonnées et incontrôlables vont adorer ! Est-ce que les réunions vont y gagner en idées clés et messages clairs ? Message aux seniors en entreprises (c'est-à-dire tout salarié de plus de 30 ans environ) : attention, vos enfants utilisent déjà ces outils à l’école !

  4. Télécoms Quel avenir pour les producteurs de « tuyaux » ? Dans l’économie numérique, les télécoms sont traditionnellement considérés comme les producteurs de « tuyaux » (réseaux de téléphonie, fibre optique, etc.) par lesquels transitent les informations et les données, c'est-à-dire le « contenu ». Le secteur des télécommunications a été traversé par de multiples innovations technologiques qui ont bouleversé les relations sociales. Plusieurs évolutions légales et réglementaires (ouverture européenne à la concurrence dans les années 1990) ont progressivement modelé le cadre de régulation du secteur. Vous souvenez vous du temps d’avant Free, Sosh, NRJ Mobile, etc., quand il n’y avait qu’un seul opérateur national (France Télécom) ? Cela semble bien lointain. Or cela ne remonte qu’à un peu plus d’une quinzaine d’années ! Le marché des télécoms est aujourd’hui dominé par quatre opérateurs : France Télécom-Orange, SFR-Numéricable, Bouygues et Free. D’autres opérateurs virtuels (Virgin Mobile, etc.) achètent des minutes à ces opérateurs mais ne disposent pas de leur propre fréquence. Le cas de Free est particulier puisqu’il loue une partie du réseau d’Orange selon un contrat d’itinérance entre les deux opérateurs, un contrat dénoncé par les concurrents. En raison de sa licence, Free doit en principe respecter certains engagements comme la couverture nationale. Après une forte croissance économique au début des années 2000 tirée par une solide demande et de multiples innovations, l’activité des télécoms s’est ralentie après 2009, en raison de l’arrivée d’un quatrième opérateur depuis 2010 (Free et sa politique de disruption fondée sur des prix bas). La forte concurrence à partir de 2010 s’est en effet accompagnée par une baisse des prix des services de télécommunication. En 5 ans, les prix ont diminué de 21 %. La France est indiscutablement le champion européen de la téléphonie low cost, comme le montre une étude de l’autorité belge des télécoms ! En conséquence, la valeur ajoutée à prix courant (en incluant les baisses des prix) est en décroissance continue: -5.3 % par an en moyenne. L’emploi est apparu comme une variable d’ajustement. Plus de 10 000 emplois ont été détruits depuis 2011. L’objectif recherché est de dégager des marges de productivité. Toutefois, les opérateurs n’y parviennent pas puisque les économies réalisées par les licenciements ne compensent pas les pertes induites par la baisse des prix. La productivité a donc poursuivi son recul (-2,8 %). Parallèlement, les principaux acteurs du secteur essayent de positionner leurs pions en se tentant de se lancer dans des opérations de concentration afin de mieux maîtriser le marché (stratégies autours du rachat de Bouygues Télécom) et/ou de bénéficier de synergies (rachat de SFR par Numéricable). Si quelqu’un arrive à suivre la partie de casino industriel actuel entre Orange, SFR, Free, Numéricable et Bouygues, qu’il nous contacte ! Toutefois, cela ne suffit pas, jusqu’à maintenant, à dégager les niveaux de revenus auxquels les télécoms étaient habitués. Lesquels permettaient autrefois de soutenir les investissements et de verser gracieusement d’importants dividendes aux actionnaires, tout en permettant une politique salariale généreuse envers les salariés. L’ARCEP, l’autorité française de régulation chargé de veiller au maintien des conditions de la concurrence, est ainsi fortement critiquée, tant par les représentants patronaux que par les représentants syndicaux des principaux opérateurs (à l’exception de Free, bien sûr). En l’absence d’évolutions majeures, l’avenir des télécoms tels qu’ils existent jusqu’à maintenant (c’est-à-dire en tant que producteur des « tuyaux ») est sans doute en jeu. Alors que les GAFA profite d’une situation de quasi-passager clandestin (utilisation de ces tuyaux sans participer à l’effort d’investissement, contournement fiscal) tout en réussissant à capter une grande partie de la valeur monétaire générée par le développement du numérique, les opérateurs de télécommunications doivent réussir à trouver leur voie s’ils veulent maintenir une place de premier rang au sein de l’écosystème.

  5. Télétravail (ou travail à distance) Le numérique va-t-il tous nous mettre à distance ? Le télétravail est « une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière » (Accord-cadre européen sur le télétravail, 2002). Cette pratique a été intégrée dans le code du travail par la loi du 22 mars 2012 et se répand en France grâce aux solutions numériques. Cela offre un cadre différent pour réaliser certaines tâches individuelles avec un fort besoin de concentration, ou encore limiter les déplacements professionnels. Pour les entreprises, cela permet de limiter l’absentéisme, de libérer du mètre carré… sans oublier l’impact sur la motivation des salariés ! Une grande majorité de salariés souhaitent en effet « télétravailler » (près de 60 % selon certains sondages, un chiffre encore plus élevé pour les franciliens ou les cadres). Il est statistiquement difficile d’évaluer le recours des entreprises à ce mode d’organisation. Un rapport du Centre d’analyse stratégique de 2009 combine les résultats de trois enquêtes portant sur 15 pays de l’OCDE : le télétravail reste peu développé en France, sur la base d’un chiffre très approximatif de 5 à 10 % de salariés. Une enquête, menée auprès de 20 grandes entreprises, montre l’essor du télétravail avec un taux estimé à 12 %, soit plus de 2 millions de salariés en télétravail régulier. Le rapport Mettling cite un chiffre encore plus élevé, de près de 17 %, mais contesté par d’autres sources qui rapportent une proportion de 2 % seulement des salariés français (voir isolement). Une chose est sûre : la France reste encore très loin des pays anglo-saxons et scandinaves (entre 20 % et 35 %). Les accords formels sur le télétravail sont le fait de grandes entreprises ; dans les PME, cela reste du ressort de l’informel et de l’arrangement. Or, mettre en place du télétravail dans son entreprise ne s’improvise pas. Si certaines tâches ne sont pas adaptées au télétravail, certains salariés ne sont pas adaptés au télétravail. Pour permettre d’améliorer la qualité de vie au travail, le rapport de Bruno Mettling recommande d’instaurer des bonnes pratiques d’organisation du télétravail. Il peut s’agir, par exemple, de définir des conditions d’éligibilité au travail à distance, de prévoir une option de réversibilité (revenir travailler au bureau) réciproque pour le manager et le collaborateur, de définir les modalités de coordination (créneaux horaires, etc.) et les outils d’interaction à distance. Afin d’éviter l’isolement et de ne pas affaiblir les collectifs de travail, cette étude préconise de favoriser le télétravail avec une présence physique obligatoire quelques jours par semaine dans l’entreprise, ou encore de partager des informations entre les membres de l’équipe afin que les télétravailleurs et salariés sur site reçoivent les mêmes informations. La finalité de ces bonnes pratiques est d’assurer notamment un lien physique avec l’entreprise et d’intégrer le télétravail dans l’organisation du travail de l’équipe. Le management doit se réinventer, sur la base de nouveaux rapports de confiance. D’autres formes de télétravail existent, encore moins codifiées. On pourrait parler de « télétravail invisible » ou « masqué ». Certains salariés télétravaillent en rentrant à leur domicile après une journée de bureau. Se pose ici la question du droit à la déconnexion. Mal encadrées, ces pratiques peuvent engendrer des conditions de travail dégradées. Les conditions de vie peuvent aussi être atteintes : des chercheurs anglais ont montré que l’espace de travail se déstructure et peut amener une certaine confusion entre ce lieu de travail, l’univers familial et les loisirs. Les représentants syndicaux et les représentants du personnel doivent ainsi s’entourer des meilleurs conseils pour garantir les droits des salariés dans l’entreprise. Il est sans doute préférable que le télétravail ne soit pas à temps plein pour garantir l’échange avec les collègues et conserver un collectif de travail indispensable à une bonne qualité de vie au travail. Une évidence : analyser les pratiques de travail à la maison oblige à analyser l’ensemble de l’organisation du travail… dans l’entreprise ! Enfin, certaines obligations sont réglementaires (Art. L 1222-9 et 10 du Code du travail). Outre ses obligations de droit commun vis-à-vis de ses salariés, l’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail : 1- de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci ; 2- d’informer le salarié de toute restriction à l’usage d’équipements ou outils informatiques ou de services de communication électroniques et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions ; 3- de lui donner priorité pour occuper ou reprendre un poste sans télétravail qui correspond à ses qualifications et compétences professionnelles et de porter à sa connaissance la disponibilité de tout poste de cette nature ; 4- d’organiser chaque année un entretien qui porte notamment sur les conditions d’activité du salarié et sa charge de travail ; 5- de fixer, en concertation avec lui, les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement le contacter. Bref, derrière l’apparente facilité du télétravail, un ensemble de normes à respecter… et d’autres à définir.

  6. Ubérisation Mais comment survivre à l’ubérisation ? Inconnu il y a un an, le terme d’« ubérisation » est désormais partout. Celui qui n’a pas utilisé le mot « ubérisation » à 40 ans a raté sa vie. Des journalistes parlent de l’ubérisation de tout et n’importe quoi, du pétrole (pour en fait dire qu’il y a de nouveaux acteurs et de nouvelles technologies) ou de la vie politique par Donald Trump (pour dire que le candidat républicain s’adresse directement aux électeurs, sans intermédiaire). Le problème, ce n’est plus la mondialisation, c’est l’ubérisation ! Mon ennemi, c’est l’ubérisation, pourraient aujourd’hui déclarer les candidats à l’élection suprême. Bref, on voit de l’ubérisation partout. Qui veut tuer son chien dit qu’il est ubérisé. Précisons un peu les choses. Ubérisation (ou uberisation) : n.f. (néologisme), composé du nom de la société californienne Uber et du suffixe -isation. Désigne la modification d’un marché ou d’un modèle d’affaires prenant exemple sur la plateforme Uber : mise en relation directe de ressources à disposition de clients, par des plateformes numériques accessibles à tout moment et sans délai. Par extension, le terme d’ubérisation (et le verbe « ubériser ») peut signifier : ringardiser et faire disparaître des concurrents installés. Grâce à ce terme, le modèle de développement de la compagnie Uber est désormais bien connu de tous. Mais, ce faisant, parler d’ubérisation peut masquer des dizaines d’autres formes d’irruption ou de disruption sur des marchés existants. Les business models évoluent sous l’effet de multiples transformations concomitantes : mutations technologiques, qui suppriment les délais, les distances et réduisent les coûts d’information ; nouvelles chaînes de valeur ; rôle des individus en tant que producteurs (de données Big Data, de services économie collaborative, plateforme, etc.) mais aussi en tant qu’acteurs (phénomène décrit par Nicolas Colin qui consiste, pour des consommateurs ou citoyens mécontents, à renverser la table et à créer leurs propres plateformes de mises en relation : l’exemple type étant la naissance du peer-to-peer et de l’échange de contenus face à l’industrie musicale). Le terme d’ubérisation a été utilisé pour la première fois par le PDG de Publicis, Maurice Lévy, en décembre 2014. La start-up Uber venait de s’installer en France. Dans ce contexte, l’ubérisation renvoie à l’entrée fracassante d’un nouvel acteur qui vient transformer une activité économique traditionnelle en s’appuyant sur la mise en réseau d’acteurs via des technologies numériques, et en se libérant de régulations existantes, en matière économique ou juridique. Dans l’histoire de l’arrivée d’Uber en France, il faut en fait distinguer deux services comme le précise cet article. Uber est une compagnie de VTC classique, en concurrence avec d’autres sociétés (Chauffeur privé, Allocab, SnapCar...). Ce service de chauffeurs professionnels assure la mise en relation avec des passagers. À la suite de la consultation des taxis, la loi Thévenoud du 1er octobre 2014 a encadré son fonctionnement : le VTC peut être réservé comme un taxi, mais n'a pas le droit de pratiquer la « maraude » pour trouver des clients. Ce droit est réservé aux taxis. Le VTC doit donc retourner au garage, sauf exception, entre deux courses. Mais il n’est plus obligé de faire attendre son client un quart d'heure, comme le prévoyait la loi à l'origine. Le conducteur doit être inscrit sur un registre administratif et titulaire d'une assurance professionnelle. Le service UberPop est bien plus controversé, et a d’ailleurs été suspendu par l’entreprise Uber en juillet 2015. La loi Thévenoud avait interdit ce service, qui permettait à des particuliers, seulement inscrits auprès d'Uber, de réaliser des courses avec leur propre véhicule. Via UberPop, le conducteur, contacté grâce à une application sur smartphone, s'improvise chauffeur de taxi pour rentabiliser sa voiture ou arrondir ses fins de mois. A la différence des sites de covoiturage (type Blablacar) qui ne prévoient qu’une participation aux frais, il s’agit bien ici d’un service payant et à but lucratif. La véritable crainte tiendrait donc plus de l’ « uberpopisation » que de l’ « ubérisation », car UberPop correspond à un déminage complet des régulations et des droits sociaux en vigueur (statut incertain du travailleur, non-inscription à un registre professionnel, non-paiement de cotisations sociales ou d’impôts, pas de formation professionnelle à la différence des chauffeurs de VTC, service non agréé par les autorités, problématique d’assurance, etc.). Bref, du low cost hors du droit. Mais on comprend pourquoi le terme peu gracieux d’uberpopisation ne s’est pas installé. Pour résumer, l’ubérisation correspond donc à un mouvement simultané de plate-formisation (rôle des applications numériques ; VOIR plateforme), de dénonciation de marchés fermés et d’entrée dans le jeu du consommateur-usager, avec un risque de contournement des régulations. La dynamique peut être parfois présentée comme le combat des Anciens contre les Modernes, « les méchants archaïques contre les gentils disrupteurs », comme le notent les auteurs d’une tribune intitulée « Stop à l’ubérisation de la société! ». L’ubérisation favorise le modèle du travail indépendant et de l’auto-entrepreneuriat, au détriment du salariat classique. Rien d’illégal dans cela, mais un risque réel de déqualification des métiers et de précarisation des emplois. Le chantier de la protection sociale de ces indépendants dont la proportion progresse est immense pour les partenaires sociaux. A l’extrême, l’ubérisation peut encourager des zones grises de travail dissimulé, dans une logique low cost et de dumping social sur toute la ligne. Au final, plus un secteur n’est épargnée par ce couple infernal : plateformisation + travail confié à des contractants indépendants, à la demande, plutôt qu’à des salariés. Interrogés par un sondage, les Français estiment que l’ubérisation est en cours dans le transport, l’hôtellerie, la distribution, aussi les médias ou la banque... mais pas encore dans le secteur de la politique et de la justice. L’ubérisation, une bonne chose pour les Français quand ils prennent leur casquette de consommateur (64 %)… moins quand ils revêtissent leur bleu de chauffe (52 % des personnes exerçant actuellement une activité professionnelle). Des acteurs proposent de distinguer une ubérisation « positive » d’une ubérisation « négative ». Le fondateur de la start-up maplaceencrèche.com explique ainsi vouloir faire de l’ubérisation positive, c'est-à-dire améliorer l’intermédiation entre les crèches existantes et les entreprises dont les salariés recherchent des modes de garde. La volonté de l’entreprise : « accélérer le développement du marché des crèches, et non pas de l’étouffer », rendre le service plus accessible et moins cher via la mise en réseau, à l’image de la baisse des prix dans le secteur du tourisme en quelques années. Mais cet exemple reste avant tout de l’ordre de ce qu’on peut appeler la « plateformisation » de l’économie, davantage que de l’ubérisation. Au final, toute innovation liée au numérique, par exemple la création de plateformes venant mettre en relation offreurs et demandeurs, ce n’est pas de l’ubérisation. L’économie collaborative (et la recherche à travers elle de l’idéal d’un nouveau modèle de société), ce n’est pas l’ubérisation non plus. Ce qui est véritablement au cœur de ce qu’on appelle ubérisation, c’est la substitution d’un travail indépendant, réalisé à la demande dans le cadre d’une relation commerciale, à un travail salarié, réalisé dans le cadre d’une relation de subordination avec un employeur. Ce travail indépendant se réalise dans le cadre d’une relation à distance, parfois impersonnelle, entre un travailleur et une application numérique, qui organise ses tâches. Aux risques juridiques liés au statut précaire de l’emploi, se combinent les risques de dépersonnalisation du travail que l’on peut retrouver dans d’autres systèmes où ce sont des objets qui commandent les humains (voice picking). Et derrière cela, au-delà des enjeux économiques et juridiques, renvoyant pour qui à « l’ardente nécessité du combat des startups mondialisés contre les corporatismes franchouillards », pour qui à « l’obligation de défendre le capitalisme de vieux barons fatigués contre l’hypercapitalisme des seigneurs agiles du futur digitalisé », se situe un enjeu de société de premier ordre, selon les auteurs de la tribune précitée : la logique économique et sociétale de l’ubérisation « préfigure l’avènement d’une jungle futuriste dont l’idéal de liberté a priori se monnaierait systématiquement contre une précarisation généralisée de nos sociétés a posteriori. De fait, les plateformes comme Uber, Lyft et autres Amazon Mechanical Turk construisent leur prédation souriante sur une faible intensité capitalistique, peu d’infrastructures, un minimum d’employés salariés et des travailleurs indépendants ou des autoentrepreneurs. » L’entreprise dans sa version classique demeure un projet collectif sur la durée, encadrée par des responsabilités et des interdépendances. L’entreprise ubérisée : un système de relations digitales, des contrats individuels, un projet au jour le jour ?

  7. Usages Tous usagers de l’économie et de la société numérique ! L’usage d’un bien ou d’un service renvoie à la manière dont celui-ci remplit une certaine utilité pour un individu ou un groupe d’individu donné et dans des circonstances données. Poser la question du numérique en termes d’usages, c’est porter l’attention, non pas sur les biens ou sur les services en tant que tels (un smartphone, une base de données, un service de conseil en système d’information, un livre numérique, etc.), mais sur la manière dont ceux-ci rencontrent des besoins tels qu’ils sont vécus par leurs utilisateurs et leur procurent une certaine utilité. S’intéresser à l’usage, c’est finalement s’intéresser à la manière dont les biens et services rendent service à leurs bénéficiaires. C’est précisément parce qu’il fait fortement évoluer les usages (pour les personnes, pour les organisations, pour les territoires..) que le numérique a un impact économique et social si important. Commençons par la sphère personnelle. Le numérique s’est tellement répandu dans la vie quotidienne qu’il est parfois difficile, pour les plus jeunes, de s’imaginer comment le monde pouvait bien tourner avant. Grâce au numérique, les capacités de stockage et la transmission d’informations ont profondément évolué. Qu’il s’agisse de la vidéo à la demande, des plateformes de streaming audio, des multiples applications sur smartphone, des journaux et médias en ligne… L’heure est aujourd’hui au développement des objets connectés. Au-delà du caractère « pratique » de ces évolutions, cela soulève des enjeux sociétaux centraux : quel accès de tous à la santé, la culture, quel modèle d’éducation, etc. ?

Le numérique a également transformé la sphère professionnelle par le biais de nouveaux usages. La dématérialisation et la transmission quasi instantanée des données, l’automatisation de certaines tâches ou l’extension de la robotisation font profondément évoluer l’activité de travail de nombreux salariés dans la plupart des secteurs [Numérique (économie), Emplois]. Dans un futur proche, l’essor des imprimantes 3D risque de bouleverser les manières de produire des biens et de concevoir la manière dont l’industrie rend service; le big data pourrait faire évoluer les modes de prise de décision et d’action des acteurs publics… Par ailleurs, les technologies numériques contribuent à brouiller les frontières entre le travail et le hors travail, tant du point de vue temporel (je regarde mes mails en dehors du temps de travail, infobésité) que du point de vue spatial (je travaille de chez moi ou dans le train, télétravail). Questionner les usages en lien avec le numérique revient finalement à s’interroger sur la manière dont les modes de production et les modes de vie des individus évoluent. C’est ce qui fait la richesse du numérique, mais ce sont aussi les risques qu’il soulève… Le développement du numérique n’est pas sans lien avec l’essor de nouvelles formes d’organisation qui favorisent la sous-traitance internationale, la dégradation des collectifs de travail, l’intensification du travail, l’utilisation de données personnelles à des fins commerciales, la remise en cause des droits de propriété intellectuels, etc. Pour le sociologue Michel Lallement, les communautés de « hackers », ces génies de l’informatique mi-pirates mi-bidouilleurs, ou de militants du logiciel libre, réinventent des façons « de créer et de partager en se défaisant des contraintes imposées par le marché, la rentabilité, le droit de propriété », en associant « le travail au plaisir, à la libre coopération, au geste esthétique », soit ni plus ni moins qu’un (utopique ?) « nouvel âge du travail ». La carte-mère comme source d’une révolution sociale et politique, en quelque sorte ! Aujourd’hui, la question des usages échappe assez largement à l’action publique. Et quelle est sa place dans le débat public ? Les acteurs publics peinent à réguler les nouveaux modèles d’échanges qui passent par internet, tandis que les partenaires sociaux, s’ils abordent parfois le sujet, sont souvent impuissants face à des évolutions considérées comme inévitables. Peut-il encore y avoir une place pour définir collectivement et sereinement les conditions qui permettent de faire du numérique un vecteur de développement des personnes, des organisations et des territoires ?

  1. Visioconférence Les réunions du CE par visioconférence : « Surprise sur prise » ? Le terme de vidéoconférence ou de visioconférence englobe tout procédé visant à tenir une réunion de travail en multimédia, à l’aide d’un téléviseur ou d’un ordinateur connecté. Plus un gain de temps pour ses participants, le procédé évite de générer des frais de déplacement à la charge de l’employeur. Dans les relations sociales, la visioconférence n'est pas prévue lors des réunions obligatoires avec les délégués du personnel ou les réunions de négociation avec les DS. Le procédé a toujours existé auprès du CE et du CHSCT avant d’être légalisé par la loi Rebsamen (C.trav., L.2325-5-1 nouveau pour le CE, et C.trav., L.4614-11-1 pour le CHSCT). En ce qui concerne la DUP dans les entreprises de moins de 300 salariés, la visioconférence peut également être utilisée car la DUP doit conserver les règles de fonctionnement propres au CE et CHSCT (C.trav., L.2326-5). Jusqu’à la loi Rebsamen, la jurisprudence (Cass., soc., 26 octobre 2011, n°10-20.918) considérait son utilisation valable dès lors qu'aucun des participants n'a formulé d'observation ni manifesté un quelconque refus quant à la tenue de la réunion par visioconférence ; et que les questions inscrites à l'ordre du jour n'impliquent pas un vote à bulletin secret et qu’il n'a pas été procédé à un tel vote. La loi Rebsamen du 17 août 2015 a légalisé cette pratique, sans proposer toutefois un recours systématique à la visioconférence. Néanmoins la loi permet au CE, au CHSCT ou à la DUP, de définir par accord le nombre, les cas et la nature des réunions qui peuvent se dérouler en visioconférence. Cet accord est signé à la majorité des membres présents (les abstentions et votes blancs sont assimilés à un vote négatif). Le règlement intérieur de l’instance peut définir précisément les modalités de recours à la visioconférence puisqu’il est signé dans les mêmes conditions. C'est alors l'occasion de réfléchir aux opportunités dans lesquelles ce procédé peut être proposé par l’une ou l’autre des parties. Faute d’accord, la loi précise que l’employeur peut décider de recourir à la visioconférence seulement trois fois par année civile. A ce titre, la question demeure entière de savoir si des élus, refusant le recours patronal à la visioconférence, pourront se prévaloir de la jurisprudence du 26 octobre

  2. En outre, s’agissant des questions inscrites à l'ordre du jour impliquant un vote à bulletin secret, seul un décret et non l’accord en question déterminera les conditions dans lesquelles le comité procèdera à un vote à bulletin secret. Cela concernerait les situations exceptionnelles où le vote à bulletin secret est nécessaire lors de la consultation sur le licenciement d’un représentant du personnel. La loi Rebsamen n’a pas non plus défini les situations propices à la visioconférence, laissant une certaine forme de souplesse. Il convient donc d’être prudent. En effet, une réunion en visioconférence n'est sans doute pas compatible avec certains sujets à l’ordre du jour des réunions du CE ou du CHSCT (projet impactant le volume et la structure des effectifs, réunion en cas de risque grave…). Car la virtualité du procédé influence de facto l’efficacité des échanges et des avis, alors même que les représentants du personnel seraient tous réunis dans une salle commune. Avec ce genre de sujets, le recours peu ordinaire à la visioconférence pourrait faciliter le filtrage des informations par l’employeur et tarirait les débats. Il serait aussi faisable de simuler l’échec de l’envoi d’un document en temps réel. On ne communique pas de la même façon derrière un écran plat. De plus, côté élu ou côté direction, si la suspension de séance est un procédé légal, chacun ne peut interrompre ou mettre fin à une réunion à distance en coupant l’alimentation électrique et simuler une panne électrique... Ne tirez pas sur le câble ! La visioconférence ne permet pas non plus à titre occasionnel de faire intervenir des participants de dernière minute. Enfin, si la loi Rebsamen a prévu trois consultations annuelles obligatoires pour le CE ou la DUP, le recours à la visioconférence doit être mesuré à l’un des enjeux en présence. Il en va de la consistance des débats et à y formuler des propositions dans le but de donner un avis éclairé.

  3. Voice picking Mon chef est une machine! Le voice picking, ou commande vocale, est un système utilisé dans la logistique et la préparation de commandes. Le préparateur est guidé dans ses tâches par reconnaissance vocale. Il ou elle reçoit ses instructions via un micro-casque. « Aller en B12, prendre 4. – Pris 4 » : tel pourrait être le dialogue entre le robot et l’opérateur. La machine guide l’opérateur et elle retraduit ses mots en codes informatiques. « Pris quatre » sera retraduit en « quatre sorties de stock ». Ce contrôle du travail est utilisé dans la plupart des entrepôts logistiques. « C’est fatiguant de parler toute la journée avec une machine », dit un magasinier concerné par la technologie. Les fabricants de systèmes de voice picking répondent : la productivité augmente, vos deux mains sont libérées ! Les préparateurs sont « le nez dans le micro », leur savoir-faire est réduit à leur seul engagement physique, comme le montre une enquête du sociologue David Gaborieau. Le travail à la chaîne s’exporte de l’industrie vers les services, ces nouvelles chaînes ne sont plus visibles mais invisibles, et c’est un robot qui mène la cadence. Un nouveau risque apparaît, identifié par l’INRS : celui de « dépendance à la machine », corollaire d’un sentiment de déshumanisation du travail. Comment, la voix synthétique de votre manager ne vous revient pas ?! « Lorsque le corps résiste aux nouvelles techniques de travail, écrit David Gaborieau, le thème de la santé devient un enjeu central pour tous les acteurs de l’entreprise. » Dans l’entrepôt de la grande distribution qu’il a étudié, quand les corps ont dit « stop » (augmentation des arrêts de travail, des maladies professionnelles), le travail a – enfin – été replacé au centre des préoccupations. Les CHSCT, notamment, ont joué leur rôle d’alerte. Des expertises médicales ont été lancées. « Le travail est donc de nouveau scruté, mesuré et chronométré, non plus afin de le rationaliser mais cette fois afin d’en limiter l’impact sur le corps ».