Comment l’économie numérique impacte-t-elle l’emploi et les conditions de travail ? Quels sont les sujets centraux pour les partenaires sociaux ? Comment le syndicalisme peut-il se renouveler par le numérique ? Quelles transformations du dialogue social dans l’économie digitale ?
L’ORSEU a préparé ce “guide de survie” à l’usage des partenaires sociaux et pour tous ceux que ces questions intéressent.
Pour une récente étude consacrée aux formes du dialogue social dans l’économie numérique, nous avons interrogé une série de syndicalistes courant 2014 et 2015. En 2014, aucun des syndicalistes rencontrés ne parlait d’♦ubérisation… Fin 2015, le terme est sur toutes les lèvres ! Preuve que la compréhension des phénomènes en cours – la fameuse transformation numérique de l’économie et de la société – évolue à la même vitesse que se déroulent ces changements. Mais si aujourd’hui tout le monde parle d’ubérisation, encore faut-il savoir ce que ce terme, ô combien menaçant !, signifie réellement. Derrière l’ubérisation, une évolution inexorable et incontrôlable de nos emplois et de nos façons de travailler ? D’autres menaces aussi accablantes, elles aussi avec des suffixes en « -sation », ont hier (automatisation, informatisation, mondialisation, et on en passe) modifié nos systèmes économiques et nos sociétés.
L’enjeu aujourd’hui pour les syndicats est de parvenir à construire une pensée complexe sur un sujet qui ne l’est pas moins. Pensez : pour analyser l’ensemble des évolutions en cours, il faut être à la fois spécialiste des réseaux et des technologies de l’information, expert en droit social et fiscal, micro-économiste de l’innovation et de la « ♦disruption », capable de comparer des expériences et des changements quotidiens à l’échelle de la planète… Et savoir utiliser ces nouveaux outils pour s’adresser aux salariés et adhérents ! Les syndicats doivent répondre à ces défis dans un contexte où leur parole est peu souvent prise en compte. Dans la masse de rapports officiels qui ont fleuri ces derniers mois sur le numérique, très peu ont auditionné les organisations syndicales, alors que les représentants d’employeurs ont systématiquement voix au chapitre. Voire, une capacité d’analyse qui leur est même contestée, comme en attestent les piques lancées par le numéro 2 du Medef (« je ne vois pas chez les syndicalistes et nos partenaires syndicaux une prise de conscience des enjeux du numérique. On ne vit pas dans le même monde », voir l’entrée ♦syndicalisme)…
Le numérique exige en effet des syndicats une appropriation de différents sujets, et ce guide montre l’étendue des sujets embrassés par la question. Nous avons retenu 52 entrées, ce qui est nécessairement limitatif. Nous avons choisi d’aborder des thèmes qui concernent directement votre activité syndicale ou de représentation. Il y aura la place pour un second tome (en franglais ?) parlant de crowdworking, crowdsourcing, FabLab, etc. ! Nous avons opté pour une analyse critique des différents thèmes retenus, en nous basant sur l’état des connaissances actuelles, et en faisant le pari d’une approche sérieuse mais ludique à la fois. Vous n’y connaissez rien au numérique ? Tant mieux ! Vous pouvez ouvrir ce volume à n’importe quelle page, ou choisir une lecture de A à Z. Vous trouverez un index à la fin de l’ouvrage présentant les différentes entrées et les thèmes associés. Et vous l’avez compris, le symbole ♦ renvoie à des entrées traitées dans ce guide.
Pourquoi analyse « critique » ? Cela n’aurait en effet aucun sens de « critiquer » les transformations en cours. Mais il faut les comprendre, dans toute leur complexité et leurs enjeux, loin des idées reçues ou toutes faites. A vous, lecteurs, de vous forger votre point de vue, votre propre pensée complexe ! Comprendre l’impact du numérique sur les ♦emplois, la montée du ♦travail indépendant, la ♦fonction publique, l’♦éducation ou l’♦écologie… Saisir l’importance (ou la non-importance) qu’a l’introduction de nouveaux outils, comme la ♦visioconférence pour les CE, la dématérialisation des bases de données (♦BDES), l’utilisation de ♦tableaux numériques ou du ♦voice picking dans l’industrie logistique. Voir aussi les dangers liés à ces outils, en termes de possible réduction de l’♦autonomie au travail (bien que celle-ci peut au contraire s’accroître fortement grâce au numérique !), de ♦surveillance, de ♦santé au travail, etc. Il faut insister sur le fait que derrière ces ♦technologies numériques, il y a des ♦usages. Ces outils n’augmentent pas tout seuls les ♦rythmes du travail : le ♦management a encore et plus que jamais son mot à dire, les ♦IRP doivent être vigilants… Assurément, de nouvelles formes de ♦syndicalisme sont à inventer, dans les entreprises, dans les branches du numérique (♦ESN, ♦télécoms…), dans une introuvable ♦filière du numérique. Demain, va-t-on voir se développer un « e-syndicalisme », lié à de nouvelles formes d’♦expression des salariés, et où les sympathisants deviendraient des ♦followers ? Tout cela est en débat. Tout cela se passe devant nous.
Espérons que cet ouvrage ne contribue pas à votre ♦infobésité ni ne participe au syndrome ♦Fear of missing out (FOMO)... Mais bien qu’il vous donne quelques clés pour comprendre ces changements ! Bonne lecture de ce guide, en version papier ou depuis vos tablettes et autres écrans !
par Vanessa Jereb, secrétaire nationale Emploi-Économie Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) La transformation numérique est aussi une transformation de notre modèle syndical ! Le numérique est créateur d’emplois porteurs d’innovations. S’en saisir est impératif pour que la France soit partie prenante de ce nouveau modèle économique et social mondialisé. Pour autant, établir les parts respectives des destructions, transformations et créations nettes d’emplois s’impose pour l’UNSA. La transformation numérique pose la question de la qualité de nos infrastructures, de l’accessibilité aux réseaux mais aussi aux outils, de la protection des données et des personnes. La question de l’évolution des rapports humains interroge à tous les niveaux : celui de la sphère personnelle, celui des relations professionnelles aussi, où la relation au travail change et les emplois se transforment rapidement, nécessitant d’intensifier l’effort de formation pour suivre le rythme soutenu induit. De nouvelles formes d’emplois se développent hors du salariat excluant ces travailleurs de notre système de protection sociale (sécurité sociale, assurance chômage) et du droit à la formation. Audelà, les pratiques numériques posent des questions de santé et de conditions de travail (droit à la déconnexion, télétravail). Le dialogue social est l’outil incontournable pour anticiper et accompagner l’évolution des emplois et la relation au travail dans la société numérique, afin d’apporter un cadre réglementaire protecteur. Le numérique pose aussi la question de la maîtrise des outils et du traitement d’une information dont la rapidité ne garantit pas la pertinence. Vecteur d’information et de communication, internet est aussi un outil d’organisation. Parce qu’il peut le meilleur comme le pire, sa place dans notre système démocratique interroge, renouvelant le débat sur les relations entre démocratie directe et démocratie représentative. Le syndicalisme doit s’emparer pleinement des outils numériques pour en exploiter les capacités, pour lui-même (facilité de partage et de diffusion) comme pour les travailleurs qu’il doit défendre (outil de contact et d’organisation). Blogs, Facebook, site internet, tweet, pétitions ou campagnes numériques, sont les outils complémentaires de notre développement, de l’échange et de la diffusion de nos revendications et positions. Le numérique pose donc un grand nombre de questions. L’UNSA s’en est saisie dans le cadre de ses réflexions pour anticiper l'évolution des emplois et de la formation, l'évolution des formes d'emplois, de la relation au travail, des conditions de travail et de santé, sur les impacts sur le droit du travail, sur le modèle économique et social et, enfin, sur l'évolution du modèle syndical.
Le colloque que nous avons organisé au CESE, le 3 mai 2016, sur le thème « Le numérique peut-il se passer du dialogue social ? », a pour objectif de nourrir notre réflexion. Ce guide, créé par ORSEU, a vocation à éclairer les militants sur les conséquences de la transformation numérique sur nos environnements de travail et syndical. Mis en ligne sur les sites www.petitguidedunumerique.fr, www.orseu.com et www.unsa.org, il sera enrichi au fil de nos réflexions. Bonne lecture !
Certains outils informatiques de type PGI (progiciel de gestion intégré) ou workflow conduisent ainsi à un accroissement du contrôle. Ils sont le plus souvent utilisés dans des entreprises recourant à un management quantitatif, basé sur une application stricte de procédures de travail. Dans ces entreprises, la prescription du travail est forte, c'est-à-dire que le salarié doit suivre des instructions précises. A l’inverse, d’autres outils informatiques comme tor et le darknet peuvent conduire à un accroissement de l’autonomie, dans le cadre d’organisations du travail plus décentralisées ou basées sur l’autonomie des salariés. Les travailleurs ont des objectifs mais peuvent choisir quels moyens suivre pour les atteindre. Il est incontestable que le développement des ordinateurs portables, des smartphones, l’amélioration des connexions wifi, a contribué à augmenter les marges de manœuvre de certains salariés, disposant déjà de latitudes dans le travail. Le numérique augmente le nombre de travailleurs « nomades », qui passent au moins un quart de leur temps de travail dans un autre espace que leur lieu traditionnel de travail ou leur bureau. Ils seraient au moins 25% aujourd’hui, contre 5 % il y a dix ans (chiffrés cités par le CNNum). Plus d’autonomie, certes, mais cette autonomie est-elle « émancipatrice », comme se le demande justement le Conseil national du numérique dans son rapport remis en 2016 à la Ministre du travail ? Seuls certains salariés ont plus de facilités et de ressources pour être autonomes dans le monde numérique, et donc pour voir leurs conditions de travail améliorées. Bref, tout est question de management. Les managers ont le choix d’utiliser les outils numériques pour renforcer l’autonomie des salariés ou bien la réduire. La fascination contemporaine pour les dispositifs de contrôle du salariat est accrue par ces outils numériques qui permettent de planifier le travail à distance. Faut-il accuser l’outil ou le management ? A ce tableau indécis concernant l’impact du numérique sur l’autonomie des salariés, il faudrait aussi ajouter la question des non-salariés « ubérisés ». Quelle est l’autonomie (et, inversement, la subordination) des chauffeurs d’Uber, que le client commande à distance via une plateforme numérique ? Beaucoup de réponses au débat actuel sur la régulation de leur statut tiennent en effet à cette question.
BDES Toute l’information de mon entreprise sur mon PC : une chimère ? Avec la BDES (Base de données économiques et sociales), les représentants du personnel allaient d’un seul coup être télétransportés dans l’âge numérique de l’information-consultation. Instituée par la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, la BDES doit rassembler et mettre à disposition des représentants du personnel, les informations relatives aux grandes orientations économiques et sociales de l’entreprise. « La base de données est tenue à la disposition des personnes mentionnées (…) sur un support informatique ou papier » dit le décret ; celle-ci est censée être actualisée en temps réel, ou presque. Le développement d’un outil numérique, alimenté par la direction de l’entreprise, utilisé de façon récurrente par les IRP, et conçu comme un support convivial et moderne pour ces derniers : tout cela tient beaucoup de la chimère. Au mieux, les BDES observées tiennent de la collection de fichiers PDF. Des « solutions » informatiques avancées existent, mais sont encore peu déployées. Dans les faits, on est encore très loin du Wikipédia du CE ou du Google de la DUP ! D’un clic, tout savoir sur votre entreprise et sur ses comptes d’hier, d’aujourd’hui… et de demain ! Le rêve d’une transparence parfaite, les petits secrets de votre executive board ou de votre Codir à portée de souris ! Evidemment, cela ne se passe pas comme ça. L’information-consultation est un jeu du chat et de la… souris justement. Les IRP obtiennent autant d’informations que la direction veut bien leur en donner, que ce soit sur papier glacé ou sous codage digital. Les concepteurs de la BDES ont même cru que l’entreprise allait pouvoir donner, outre les informations sur le passé récent, des chiffres (ou a minima des « tendances ») sur les trois prochaines années. Dans le monde du virtuel, tout est possible. La BDES reste toutefois un levier d’action et de connaissance pour les représentants du personnel. L’outil peut être développé pour un usage stratégique dans le rapport de force et la négociation avec l’employeur : plus on en sait – et plus on sait traiter cette information – plus on est en mesure d’agir. On peut imaginer qu’avec le temps et les usages, des interfaces complètes se dessinent. Mais ce n’est pas parce que l’outil est dématérialisé qu’il est intéressant en soi, c’est parce qu’il donne matière à agir qu’il fait sens.
Big Data La donnée, le nouvel or noir du troisième millénaire Entreprises, institutions, journalistes, citoyens, syndicalistes… nous utilisons tous chaque jour quantité de données pour notre vie personnelle ou professionnelle. L’économie numérique correspond à la mise en forme de ces données sous un format particulier [Numérique (technologie)]. L’expression « Big Data » renvoie quant à elle à deux éléments liés : d’un côté, l’explosion du volume des données disponibles ; de l’autre, la capacité croissante des moyens technologiques disponibles pour les traiter et les analyser. On connaît la fameuse « loi de Moore », qui prédit que tous les 18 à 24 mois, la capacité et la performance des ordinateurs doublent. La croissance du volume des données (on parle de « big bang ») est au cœur de l’économie contemporaine. Certains considèrent la donnée comme le nouvel « or noir ». L’« économie des données personnelles » repose alors sur l’extraction et l’utilisation de cette matière première, comme c’était le cas avec le pétrole lors de la deuxième révolution industrielle ! Le ministère de l’économie a placé les données au cœur de ses projets-phares pour une industrie du futur. L’enjeu : créer de la valeur ajoutée à partir de la quantité inédite de données dont nous disposons. La France disposerait ainsi d’un « gisement de valeur pour les citoyens et un potentiel de croissance encore sous-exploité pour les entreprises ». Elle peut compter sur des acteurs industriels solides et une longue tradition d’excellence mathématique. En développant et maîtrisant de nouvelles technologie de traitement de ces données (« supercalculateurs »), le Big Data pourrait permettre de créer et consolider 137.000 emplois d’ici 2020, selon Bercy. Ces data ne tombent pas du ciel. Nous les produisons chaque jour, depuis nos tablettes, smartphones et autres objets connectés. Selon un rapport, nous produisons chaque minute et à l’échelle mondiale 350 000 tweets, 15 millions de SMS, 200 millions de mails. 250 Giga-octets d’informations sont archivés sur Facebook. Tous les jours, traite plus de 24 millions de milliards d’octets. Quand vous réalisez un achat en ligne, commentez le dernier film sur Allocine.fr ou quand vous programmez à distance le thermostat de votre appartement, vous participez à cette production gigantesque de données… sans vous en rendre vraiment compte, avouez-le. « A l’insu de notre plein gré » : nous sommes tous les Richard Virenque du Big Data. En revanche cela ne se fait pas à l’insu des entreprises du numérique (GAFA et autres) mais aussi des entreprises traditionnelles qui ont vu leur modèle d’affaires bouleversé par ces nouvelles technologies (business model). Un exemple parlant : les assureurs revoient leurs prévisions d’accidentologie en se basant désormais sur les pratiques réelles. Capteurs, systèmes embarqués, transmettent les données de conduite et de kilométrage en temps réel. Les Big Data ouvrent la voie à une myriade d’applications. Dans le domaine énergétique, il est possible d’imaginer des smart cities ou des smart buildings (villes ou bâtiments intelligents) disposant d’outils de collectes de données sur les usages. Cela permet de personnaliser la consommation des usagers. L’analyse de ces mégadonnées permet aux opérateurs d'énergie de mieux appréhender les besoins. La montée en puissance des Big Data a récemment été illustrée par un exemple très commenté. Google s’était targué, en 2008, de prédire la propagation d’une épidémie de grippe avec plus de d’exactitude que les organismes de recherche médicale et épidémiologique. L’entreprise s’appuyait sur son logiciel Google Flu Trends, qui réalise ses prévisions à partir des mots tapés par les internautes dans le moteur de recherche. Google a constaté que la grippe se développait là où le mot « fièvre » était plus googlé qu’en temps habituel. Sauf que ces prévisions « numériques » surestiment
au final l’étendue réelle de l’épidémie, constatée sur le terrain par les médecins. D’un côté, les Big Data virtuelles et leurs algorithmes, de l’autre, les data réelles : fièvre, suées et big fatigue… Les Big Data restent un enjeu massif pour les entreprises. Comment capter ce minerai précieux produit gratuitement par des milliards d’usagers ? La fièvre de l’or noir n’en est qu’à ses débuts…
Business model Ou modèle d’affaires. En quoi l’économie numérique transforme-t-elle les business models ? La numérisation de l’économie renvoie à la modification des modèles économiques des entreprises, pas simplement à la transformation de l’outil de travail voire à l’évolution des formes de travail (télétravail, etc.) et d’emploi (ubérisation, crowdworking, etc.). Les entreprises traditionnelles doivent repenser leur modèle d’affaires pendant que dans le même temps, des start-ups créent de tout nouveaux business models qui remettent en cause nos façons de penser et de produire. Dans le premier cas, celui de l’évolution des modèles d’affaires traditionnels, un bon exemple serait celui de la banque. Les outils de travail ont depuis longtemps été numérisés avec un impact fort sur les métiers. Le traitement des chèques ne se fait plus manuellement depuis longtemps ! Mais la numérisation porte bien au-delà : tout le modèle d’affaires des banques évolue avec le développement des banques en ligne. Certaines banques de détail prévoient ainsi de réduire d’un quart le nombre des agences et le déploiement d’une nouvelle stratégie de banque en ligne. Demain, c’est l’intelligence artificielle qui va venir modifier la nature du service bancaire ! Les métiers évoluent et disparaissent, non seulement en raison de la propagation de ces outils numériques et de l’informatisation des tâches, mais aussi en raison des nouvelles stratégies économiques liées à des nouveaux usages par les consommateurs. Dans le cas de la banque en ligne, certains consommateurs ont en effet une préférence pour une connexion à distance, permise par les nouveaux outils de communication, pour plus de réactivité et moins d’intermédiaires, etc. Le consommateur devient « consommacteur » : en réalisant lui-même ses ordres de virement, il réalise une tâche qui était auparavant réalisée par un conseiller bancaire ! Le numérique empresse ainsi les entreprises de repenser leurs modèles d’affaires en lien avec ces nouveaux usages. C’est, aussi, l’entreprise automobile qui cherche à développer de nouveaux services plutôt que de créer de nouveaux produits industriels. C’est l’ancienne entreprise industrielle informatique qui se repositionne dans le segment de la création de films en « 3D ». De plus en plus souvent, le consommateur vient révolutionner les façons de produire. Se créent alors des nouveaux business models complètement innovants par rapport à l’économie classique. Ce sont par exemple de nouveaux systèmes de collecte d’argent qui échappent aux banques traditionnelles (FinTech). C’est ce que des auteurs appellent le pouvoir de la « multitude » : celui de passer outre les entreprises installées pour créer une nouvelle économie fondée sur les besoins et les usages. C’est par ce biais – complètement enraciné dans la révolution numérique – que de nouveaux business models sont mis au point par des start-ups agissant selon le principe de la disruption. Partir des usages, cela signifie élaborer de nouveaux produits et services centrés sur les personnes. Une approche « human centric » : on parle d’abord d’utilisateurs avant de parler de clients. Auparavant, l’individu était localisé dans la sphère de la consommation ; il achetait passivement les biens et services que la sphère industrielle concevait pour lui. Désormais, les individus créent de la valeur directement, selon Nicolas Colin, « en produisant eux-mêmes des biens ou des services, (…) en mettant à disposition des ressources inutilisées dans le cadre de l’économie collaborative, devenant tour à tour hôteliers avec Airbnb, chauffeurs avec BlaBlaCar, banquiers avec Lending Club ou producteurs d’électricité avec SolarCity ». Ils pallient directement à des insatisfactions vécues en tant que clients (avec l’hôtellerie classique, avec les maisons de disques, avec les banques…). L’économie collaborative et la mise en relation directe entre l’entreprise et la multitude (plateformes) fondent un nouveau modèle de captation de valeur et donc de nouveaux modèles d’affaires. Dans l’ancien modèle, les entreprises concevaient en amont un produit dont elles espéraient qu’il sera consommé par une masse de consommateur. Dans ce nouveau modèle, ce qui change est que le « désir de créer, de communiquer et de partager n’a jamais rencontré autant de possibilités de passer à l’acte » (N. Colin, H. Verdier). Le lien en aval entre les entreprises et les utilisateurs crée la pression sur toute la chaîne de production. « Le principal défi, pour les entreprises, écrit N. Colin, devient la personnalisation à grande échelle. » Si on ne satisfait pas la multitude des consommateurs « avec des produits plus abondants, moins chers, innovants, personnalisés, alors elle n’hésite pas à passer de l’autre côté du comptoir et à se servir sans demander la permission. » Comme l’écrivent les auteurs du livre Bienvenue dans le Capitalisme 3.0, au chapitre « Vive le gratuit, à bas les intermédiaires ! », « après avoir passé plusieurs décennies sous le joug du marketing de masse, obéissant au diktat des marques sans avoir son mot à dire, le consommateur reprend le pouvoir, et change les règles du jeu ». Consommateurs de Blablacar, d’Airbnb et du prochain service « disruptif », vous venez sans le savoir ou presque de révolutionner le business model de nos vieilles entreprises du siècle dernier !
Collectif de travail Le numérique réduit-il les collectifs de travail ou oblige-t-il à les repenser différemment ? Si les technologies du numérique ont un effet sur les collectifs de travail, c’est principalement par l’usage que les organisations et les travailleurs en font. Selon le chercheur Damien Cru, un collectif de travail nécessite la présence simultanée de plusieurs travailleurs, une œuvre commune, un langage commun, des règles de métiers, un respect durable de la règle par chacun. Cette définition décrit bien le collectif de travail dit « traditionnel », le plus répandu en France celui que l’on retrouve dans les grandes entreprises très structurées par une culture hiérarchique. Dans cette forme de collectif de travail, l’action de l’individu est gouvernée par l’intérêt collectif de son groupe et les rôles sont fortement prescrits. A l’opposé de cette culture collective, se trouve une culture plus individualiste. Cette culture produit des collectifs de travail qui peuvent être « multiformes, multidisciplinaires, trans-hiérarchique et dépasser les frontières de l’entreprise ». Il va par exemple s’agir de groupes « projet ». La coopération y est importante car elle permet l’atteinte d’un objectif. Dans ces groupes, le management prend avant tout un rôle d’animation, voir de « coach », selon les papes du management « agile » (management). Les rôles de chacun sont construits plutôt que prescrits et l’autonomie y est élevée. Chacun de ces collectifs développe un usage différent des TIC, comme le montre le rapport de France Stratégie (de 2012) consacré à l’impact du numérique sur les conditions de travail. Pour le collectif dit traditionnel, les TIC utilisés sont principalement des systèmes centralisés et des messageries. L’introduction des TIC peut alors bouleverser les règles du collectif voire transformer le travail. C’est particulièrement le cas lorsqu’on introduit un ERP ou progiciel de gestion. L’arrivée des TIC dans ces grandes entreprises a tendance à renforcer l’individualisation du travail et à remettre en cause la solidarité et l’entraide, valeurs fondamentales de ces collectifs. Pour les collectifs individualistes, l’impact du numérique est bien différent, pour la bonne raison que ceux-ci sont déjà en partie construits autour des TIC ! Les individualistes utilisent des outils de communication et de collaboration participatifs (réseaux sociaux, forums …) ainsi que des logiciels de gestions de projets. Ces outils leur permettent de participer à plusieurs projets simultanément et de valoriser leurs compétences auprès de divers collectifs. Très autonomes dans leur travail, ces travailleurs s’engagent également plus fortement et les frontières entre vie privée et vie professionnelle sont floues. De plus la flexibilité et la précarité y sont plus importantes. Autant de risques en termes de santé au travail pour ces travailleurs en phase avec l’époque numérique. Dans des cas extrêmes, certaines organisations du travail vont utiliser le numérique pour restreindre fortement l’autonomie au travail et empêcher la production d’un collectif producteur de règles communes. Il s’agira le plus souvent d’entreprises prises dans des chaînes de sous-traitance où toute la relation de travail est prescrite par un extérieur invisible. Les TIC amplifient les facteurs de risque pour la santé des salariés en encadrant complètement leur travail. Les transporteurs routiers suivis par géolocalisation, les salariés des plateformes informatiques, ou encore les préparateurs de commandes qui doivent utiliser des systèmes à commande vocale (voice picking) sont particulièrement touchés. Cette culture qualifiée « de subordination » est favorisée par le contexte économique et organisationnel. Les collectifs « traditionnels », de leur côté, sont fragilisés par les transformations du travail – et le rapport de France Stratégie ne parlait pas encore d’ubérisation ! Il y a un risque croissant d’exclusion des salariés mis à l’écart des évolutions technologiques. L’effet des TIC est donc ambivalent : il permet dans certains cas de créer de l’entraide et dans d’autres il réduit le soutien social. Les outils numériques ne sont pas responsables des choix organisationnels mais ils peuvent parfois en amplifier les effets.
Convergence numérique L’intégration verticale, le retour! Vos vieux cours de microéconomie ou de stratégie d’entreprise parlaient d’intégration verticale, c’est-à-dire le fait pour une entreprise de se développer en amont (production) ou en aval (distribution) de la chaîne de valeur. Une agence de voyage va par exemple développer ses propres clubs de vacances. Dans l’économie numérique, vos MOOCs (éducation) parlent désormais de « convergence numérique » voire mieux, de « Full Stack » : envahir un secteur à partir d’un logiciel ou d’une application ! « Il y a dix ans, notent P. Escande et S. Cassini dans Bienvenue dans le capitalisme 3.0, Uber se serait contenté de vendre sa plateforme de mise en relation et de calcul de prix à de sociétés de taxis ou de VTC. Aujourd’hui, il veut les concurrencer ». Stratégie de l’empilement (stack, en anglais) : plutôt qu’un positionnement de niche, une volonté de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur. Quelques exemples américains : une start-up de batteries électriques qui se lance dans la production de ses propres véhicules ; un éditeur de supports éducatifs collaboratifs qui ouvre des écoles sous sa marque ; un distributeur de vidéos en ligne (Netflix) qui produit ses propres séries. Une différence avec l’intégration verticale de papa : l’intégration est conçue d’entrée, dès la création de la start-up, et non à une étape ultérieure du développement de l’entreprise. Nouvelles modalités de production et de commercialisation, nouveaux business models. De son côté, l’expression de « convergence numérique » renvoie historiquement au phénomène de convergence entre le secteur des télécommunications et d’autres secteurs devenus connexes comme l’informatique ou l’audiovisuel. Les « couches » étaient séparées, désormais chaque couche intervient sur l’ensemble des autres domaines. Les producteurs de tuyaux investissent dans les contenus ; les producteurs de contenus développent leurs propres tuyaux. Orange crée une chaîne de télévision ; Apple fabrique à la fois des produits et des services de contenus, avec une stratégie d’enchaînement ou d’enfermement propriétaire (impossible d’utiliser son iPhone sans passer par iTunes) inégalée.
Disruption La formule magique : « dis-rup-tez! » La « disruption » est devenue la tarte à la crème de l’innovation et de la stratégie d’entreprise. Qui ne veut pas « disrupter » le marché aujourd’hui ? Clayton Christensen, professeur à Harvard, a popularisé le terme d’« innovation disruptive » à la fin des années 1990. Pour lui, « l'innovation disruptive, c’est avant tout une façon de définir le processus de transformation d'un marché. Elle se manifeste par un accès massif et simple à des produits et services auparavant peu accessibles ou coûteux. La disruption change un marché non pas avec un meilleur produit – c'est le rôle de l'innovation pure –, mais en l'ouvrant au plus grand nombre. » Il ne s’agit pas non plus d’innovation incrémentale, c'est-à-dire augmenter la qualité d’un produit existant. Bref, il s’agit de bouleverser un marché en s’appuyant sur la multitude d’usagers qui vont potentiellement s’en emparer. Uber, à la base une société informatique, a bouleversé les usages de réservation d’un véhicule avec chauffeur sur la base d’une simple application. Partout où l’on peut dématérialiser certaines activités et créer des plateformes directes entre acteurs, il y a de la place pour ces formes d’innovation. On n’en est donc qu’au début de la disruption ! Vision optimiste de l’auteur : s’il y a menace sur l’emploi, ce n’est pas parce qu’on disrupte trop, c’est qu’on ne disrupte pas assez… « La disruption permet de faire émerger de nouveaux modèles et crée des marchés plus vastes en rendant moins chers et plus accessibles des produits et des services là où il y a des rentes de situation ou des oligopoles non transparents. » Jean-Marie Dru, aujourd’hui Président non exécutif du groupe de communication américain TBWA, est réputé avoir inventé ce terme de disruption dans les années 1980 (et l’a même déposé en tant que marque dans 36 pays !) avant que Christensen ne parle d’innovation disruptive. Pour lui, les disruptions ou créations de rupture ne se limitent pas aux start-ups du numérique. La vieille industrie peut elle aussi faire de la vraie disruption ! Les boissons énergétiques Red Bull ou les plumeaux attrape-poussière Swiffer seraient ainsi des innovations disruptives. Comme l’indique le titre de son dernier ouvrage, il s’agit de « briser les conventions et redessiner le marché ». On peut être briseur de conventions sous bien des angles : ouverture du marché, stratégie de prix, business model, utilisation des données, service ajouté, etc. Mais il faut une stratégie. « Ce n’est pas parce qu’ils ont nommé un Directeur de l’Innovation… que leur société va devenir innovante ! », plaisante la journaliste Dominique Nora. Et vous, amis syndicalistes et représentants du personnel, quelle est votre stratégie de disruption ?
Droit à la déconnexion Face à l'hyper-connectivité, comment organiser le droit à la déconnexion ? Les nouveaux outils de communication dits nomades sont un vrai casse-tête pour employeurs et salariés, remettant en cause, derrière un aspect pratique et efficace, la frontière entre vie professionnelle et vie privée. Les salariés sont nombreux à travailler à la maison et en dehors de leurs heures de présence au bureau depuis qu’ils ont été équipés par leur entreprise d'outils numériques. Que ce soit par conscience professionnelle ou par pression, ce lien permanent avec le monde du travail grignote le temps consacré à la vie personnelle. Le développement du télétravail, même s’il est partiel, peut installer des habitudes. Devant les alertes des médecins du travail sur des situations de surmenage et les risques encourus pour la santé physique et mentale des salariés, l’employeur a une réelle responsabilité. Certaines entreprises ont déjà mis en place des dispositions au travers de négociations avec les organisations syndicales pour un véritable droit à la déconnexion. En avril 2014, la branche Syntec (ESN) a inscrit une « obligation de déconnexion des outils de communication à distance » dans son avenant à l’accord temps de travail. Cette obligation de déconnexion repose sur le salarié puisque l’employeur se doit simplement de prendre « les dispositions nécessaires afin que le salarié ait la possibilité de se déconnecter des outils de communication à distance mis à sa disposition » pendant son temps de repos. Le controversé projet de loi « Travail » ou loi El Khomri prévoit – dans un de ses rares points faisant consensus – que tous les salariés devraient bénéficier de ce droit à couper leur smartphone et autres outils numériques professionnels en dehors de leur journée de travail. Le texte du projet de loi renvoie à la négociation d’entreprise dans le domaine désormais consacré de la « qualité de vie au travail ». Les négociations QVT devront ainsi dès 2018, si la loi est entérinée, porter sur les « modalités d’exercice par le salarié de son droit à la déconnexion ». L’objectif est « d’assurer le respect des temps de repos et de congés ». L’accord pourra par exemple, délimiter les périodes durant lesquelles les salariés n’envoient pas de courriels professionnels, ou instaurer un système qui ne permettra pas la réception de mails professionnels le dimanche, le soir à partir d’une certaine heure ou la nuit… Des bonnes pratiques existent déjà en matière d’encadrement du télétravail. Le management du travail à distance doit faire l’objet d’approches renouvelées. Employeur comme salariés doivent notamment réfléchir au développement de nouvelles compétences liées aux usages du numérique. Comme le note le rapport Mettling de 2015, « savoir se déconnecter au domicile est une compétence qui se construit à un niveau individuel […] mais qui a besoin d’être soutenue au niveau de l’entreprise ». En clair, il s'agit autant de sensibiliser les salariés que d'instaurer des règles contraignantes. Pour autant, il est encore fréquent que les managers s’autorisent des texto ou e-mails à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Certains cadres, de leur côté, oscillent entre peur de la hiérarchie et servitude volontaire aux TIC, comme le notent à la fois le sociologue critique JeanPierre Durand mais aussi l’APEC. C’est pourquoi il est nécessaire de sensibiliser l’ensemble des acteurs de l’entreprise et ce, quelle que soit la position hiérarchique qu’ils occupent. Notons que si les négociations n’aboutissent pas, l’employeur déterminera les modalités de ce droit à la déconnexion et devra les communiquer ensuite au personnel. Il n’est pas question pour lui de s’exonérer de toute responsabilité en sa qualité d’employeur quant à la préservation de la santé physique et mentale des salariés. Mais hélas nous devons arrêter là la rédaction de cet article en raison d’un appel urgent de notre patron sur notre portable.
Economie collaborative Je te prête mon appartement, c’est collaboratif ; je le loue sur Airbnb, c’est de l’économie collaborative ? Qu’il s’agisse d’Airbnb, de Blablacar, d’Uber, ou de Wikipédia, les grandes figures de l’économie collaborative sont souvent présentées comme des références en termes d’innovation, de partage, voire de développement durable. Derrière les mots, il est toutefois difficile d’identifier à quelle réalité précise renvoie l’expression d’ « économie collaborative ». D’une part, il n’est pas aisé d’en mesurer son poids économique puisque l’économique collaborative échappe très largement à la statistique publique. D’autre part, la notion même constitue parfois ce qu’on appelle un « mot-valise », fourretout utilisé ici et là pour donner un look innovant à telle ou telle entreprise. Parmi les définitions communément admises figure celles proposées par Rachel Botsman. Selon elle, l’économie collaborative se définit comme « des réseaux d’individus et de communautés connectées, par opposition à des institutions centralisées, et qui transforment la manière dont nous produisons, consommons, finançons et apprenons ». Ainsi, l’activité économique relève de l’économie collaborative de par les modes de relations particulières qui opèrent entre les individus dans différents registres : la consommation collaborative (je covoiture avec Blablacar), la production collaborative (je partage mes savoirs via l’Open Source ou des Fab Lab…) le financement collaboratif (KissKiss BankBank) ou la « connaissance » collaborative (Wikipédia, MOOCs, etc.). Le rôle des plateformes numérique est au cœur du développement de ces économies collaboratives. Ce qui fonde l’économie collaborative, c’est donc le partage. La création de valeur est fondée sur la mutualisation des ressources (un bien, un espace, un outil, des ressources financières, etc.). D’où l’expression anglaise de Sharing Economy souvent utilisée pour faire référence à ces modes de production/consommation émergents. En ce sens la technologie numérique joue un rôle fondamental dans le développement de cette économie. Si le numérique n’a pas fait naître l’économie collaborative ni le partage, cette technologie a permis leur essor, notamment grâce aux plateformes d’échange. Le covoiturage entre voisins, amis ou membres de la famille a toujours existé, mais le numérique a démultiplié les possibilités en l’étendant à tout un chacun doté d’une connexion internet. En connectant ensemble une multitude d’individus, le numérique a finalement rendu possible le déploiement à plus grande échelle de dynamiques micro-localisées de partage et de mutualisation. Qu’est-ce qu’il y a d’économique alors dans tout cela ? D’un côté, on trouve des plateformes d’échange sans visée lucrative (Linux, Wikipédia, etc.), participant à la production d’un patrimoine collectif accessible à tous (contrairement à l’accroissement d’un capital détenu par certains). De l’autre, de vrais business se créent tous les jours mobilisant des producteurs-indépendants « à la carte » (par exemple dans le domaine de la livraison de repas à domicile, Take Eat Easy, etc. gig economy). Entre les deux, des nouveaux services d’intermédiation basés sur le partage d’un bien, par
exemple une voiture, sans but lucratif pour le chauffeur mais créateur de valeur pour les actionnaires (Blablacar), ou au contraire annonciateurs de nouvelles formes d’emplois (Uber). Le champ de l’économie collaborative est donc très large et renvoie à des mécanismes économiques fondamentalement différents. Et il est clair que pour de nombreuses plateformes d’intermédiation à visée lucrative, la dimension « collaborative » présente un caractère relativement limité. C’est souvent une affaire de maquillage, de look… Dans de nombreux business models se présentant comme de l’économie collaborative, le partage d’un bien par les individus apparaît plus comme un moyen de générer et de distribuer de la valeur monétaire selon des mécanismes traditionnels, qu’une fin en soi. Et lorsque cela génère un fort degré de marchandisation des relations entre les utilisateurs, le risque d’ubérisation pointe son nez. La principale « innovation » tient alors au fait que les formes traditionnelles de régulation de la mise au travail sont ébranlées par le succès d’un travail « à la carte », avec les effets délétères qui peuvent en découler en termes de protection sociale et de précarité. Plus ou moins conscients des évolutions constatées, les acteurs publics font cependant face à de réelles difficultés pour réguler ces activités. Comment éviter que le développement de services de type Uber Pop ne se fasse au détriment de la protection des droits des salariés (ubérisation) ? Comment organiser la concurrence entre des entreprises dont l’activité réalisée constitue un métier (hôtelier par exemple) et des individus louant leur logement à titre occasionnel ? A partir de quel moment peut-on considérer qu’une personne qui propose des voyages en covoiturage le fait dans une logique marchande ? A partir de quel moment considère-t-on qu’il s’agit de véritables revenus sujets aux impôts et taxes ordinaires ? Et tant d’autres questions ô combien épineuses. Un rapport sur l’économie collaborative, remis récemment au gouvernement par le député Pascal Terrasse, en a fait son sujet. Les propositions formulées tendent à permettre le développement de l’économie collaborative sous ces différentes formes actuelles – y compris les moins « collaboratives »… –, en essayant de garantir certaines exigences sociales : création d’un espace de notation des plateformes, renforcement de la protection sociale des indépendants, clarification de la doctrine de l’administration fiscale sur la distinction entre revenu et partage de frais, etc. On voit bien que dans cette perspective, quand bien même l’économie collaborative serait amenée à se développer fortement, cela ne devrait pas bouleverser en profondeur le système productif actuel.
Face à ce scénario pessimiste faisant de l’école publique la « voiture-balai » des écoles privées on-line, le rapport du CNNum préfère une vision plus optimiste s’appuyant sur la révolution numérique pour refonder l’égalité des chances et l’accès de chacun au savoir. Le rapport fait plusieurs propositions concernant les évolutions de l’enseignement à l’ère du numérique : enseigner l’informatique de la primaire au lycée, développer la littératie numérique, créer un bac « Humanités numériques », etc. Il invite aussi à dessiner un nouvel « écosystème éducatif » en mode ouvert et interactif avec les collectivités, les entreprises, les éditeurs de contenus, les parents, le monde de la recherche. Non pas le professeur robot ou informatisé, mais l’enseignant mis au cœur d’un vaste chantier « technique, créatif, imaginatif ». Quel sera l’école de nos enfants en 2025 ? Prenez une feuille blanche ou votre tablette, vous avez quatre heures.
demi-bouilloire… Chiffres contestés par plusieurs scientifiques, y compris par le prétendu auteur de l’étude lui-même ! Pour Google, chaque requête consommerait 0,2 grammes de CO2. Au-delà du débat sur les chiffres, les dégâts sont bien réels ! Une analyse de cycle de vie réalisée par le groupe « EcoInfo » du CNRS, à la demande de l’entreprise Pocheco (fabriquant d’enveloppes), a comparé l’impact d’un courrier papier et l’envoi d’un courriel. Les résultats montrent à quel point cet impact dépend du comportement de l’utilisateur. Ainsi, sur un faisceau de dix facteurs (parmi lesquels on compte épuisement des ressources, destruction de la couche d’ozone, etc.), la facture numérique sera globalement moins dommageable si elle n’est jamais imprimée et si sa consultation en ligne dure moins de trente minutes (ce qui est fréquemment observé pour les relevés bancaires). Comme le note l’étude, « dès que la facture numérique est régulièrement imprimée (1 fois sur 3) son avantage environnemental sur la facture papier devient discutable ». Cela peut paraître étonnant. Et pourtant, si la facture papier est impactante par son impression et son acheminement, la facture numérique peut l’être tout autant par l’appareillage de son utilisateur (ordinateur, imprimante, box internet) et celle des fournisseurs d’accès (serveurs, centres de données), tant pour leur fabrication (matière première, énergie) que pour leur utilisation (énergie consommée pour l’envoi et le stockage des données). A lui seul, l’envoi du relevé de compte ou de la note de portable va suivre cinq étapes, toutes consommatrices d’énergie : création de la facture par le fournisseur de service, sauvegarde, création de l’email et envoi ; réception de l’email par le prestataire mail (Gmail, Orange, etc.) et consultation ; consultation de la facture sur le site du fournisseur de service (banque, opérateur web ou téléphone) ; téléchargement en PDF ; archivage sur l’ordinateur et/ou impression. L’ensemble de ces opérations ramenées à l’échelle d’un utilisateur unique aura engendré une consommation de 36,5 Wh. Sachant qu’avec 1000 Wh (un kilowattheure) il est possible de regarder la télévision de 3 à 5 heures, faire fonctionner un frigo pendant une journée, travailler une demijournée avec un ordinateur fixe, se chauffer pendant une heure en hiver et s’éclairer sept heures durant avec sept lampes basse consommation... Hic plus préoccupant côté numérique, les matières premières nécessaires à la fabrication des appareils – ordinateurs, liseuses et tablettes – (plastique, matériaux chimiques, lithium des batteries) ne sont généralement pas recyclées. Selon EcoInfo, si la phase d’usage des TIC ne représente environ que 10 % de la consommation d'électricité dans le monde, c’est la phase de fabrication qui est la plus polluante et qui concentrerait à elle seule plus de 80 % des impacts (épuisement des ressources, effet de serre, etc.). Précisons tout de même que les méthodes de calculs de l’empreinte écologique des nouvelles technologies suscitent de nombreux débats. Les grands opérateurs ou constructeurs rechignent souvent à diffuser leurs données et préfèrent produire eux-mêmes des études (sans regard indépendant) ayant tendance à minimiser leur impact. De plus, le champ des études est bien souvent obscur : il est par exemple difficile de savoir si la fabrication de tous les équipements servant à se connecter, si la mise en place du réseau ou si la fin de vie de l’équipement ont été pris en compte ou pas. Bienvenue dans un monde complexe… Alors ? Sobriété et bon sens semblent être les maîtres mots, quelle que soit la solution choisie. Quant à notre bon vieux papier traditionnel, il est loin d’être le plus polluant, comme il en a souvent été accusé. D’une part, la ressource papier peut être gérée durablement (tant pour la production qu’en matière de recyclage) bien plus facilement que la ressource informatique. En outre, en termes de conditions de travail, la lecture papier invite à la concentration et à la profondeur, contrairement à la lecture sur écran plus segmentée, fragmentée et discontinue.
trielle. » Pour Nicolas Colin, auteur du rapport La richesse des nations après la révolution numérique, difficile d’être optimiste : « Le problème est que la transition numérique ne peut, en l’état actuel du débat, être présentée comme un remède au chômage ». Dans cette perspective, on peut s’attendre à une « bipolarisation » du marché du travail sans créations massives d’emplois. D’un côté, des emplois qualifiés et protégés, dans les domaines du management ou de la créativité ; de l’autre, des emplois peu qualifiés mais non routiniers, faiblement rémunérés mais eux aussi relativement protégés de la numérisation, notamment dans les services aux personnes. Pour Nicolas Colin, de plus, divers emplois qui exigent aujourd’hui des qualifications, correspondront demain à des qualifications moins importantes, car ils s’appuieront sur le développement des technologies numériques : par exemple, « le technicien qui maintient les chaudières connectées à des infrastructures de cloud computing », « l’infirmière qui pratique un diagnostic en lieu et place du médecin en étant assistée par une application spécialisée », ou encore « le conseil juridique qui, sans être avocat, rédige des actes simples pour des clients en s’appuyant sur des outils et bases de données numériques ». Cela exige pour Colin la suppression de diverses barrières réglementaires (barrières à l’entrée dans certains métiers). Y a de l’ubérisation dans l’air ! Quant à lui, l’auteur de ces lignes, un automate nommé FARVNI36, vous remercie de votre lecture.
ESN (ou SSII) Les Entreprises de services numériques, premier secteur de l’économie numérique en France Longtemps connues sous l’acronyme de SSII (société de services en ingénierie informatique) et désormais nommées ESN, les entreprises de services numériques sont la seule activité du « cœur » de l’économie numérique à créer des emplois alors que les deux autres secteurs identifiés (la fabrication de matériels informatiques, électroniques et optiques ; les télécoms) ont détruit des milliers d’emplois ces dernières années. Le secteur représente plus de 380 000 salariés en 2012 pour environ 43 000 entreprises. C’est un secteur atomisé, constitué de milliers de petites entreprises, même si on compte également plusieurs grandes entreprises françaises particulièrement compétitives sur leur segment de marché (Atos, Capgemini, Sopra Steria, Technicolor, Ubisoft, etc.). Du point de vue des relations professionnelles, les ESN appartiennent à la branche dite « Syntec », qui a de facto un périmètre très large, puisqu’elle inclut aussi les bureaux d’études, les cabinets de conseil, etc. Cette diversité de situations professionnelles entraîne une grande variété de thématiques à traiter dans les négociations de branche, ce qui peut conduire à des discussions et négociations complexes. Une problématique aujourd’hui centrale dans cette branche qui crée de l’emploi porte sur les conditions de travail : rythmes de travail élevés, fortes amplitudes horaires, niveau de stress important... Le travail en régie (mise à disposition d’un salarié d’une ESN pour une entreprise cliente selon un tarif journalier) soulève de multiples difficultés en termes de conditions de travail : difficultés d’intégration, course à la reconnaissance, ambiguïté de la double relation de travail, accès à la formation difficile, etc. Le secteur est de plus particulièrement concerné par les nouvelles formes de mobilisation de la main d’œuvre (mobilisation d’autoentrepreneurs, portage salarial, travail en régie, crowdworking, etc.) qui soulèvent des questions importantes pour les organisations syndicales : quelle indépendance, quel statut, quelle protection sociale pour ces travailleurs ? Le secteur est parfois considéré comme un laboratoire de nouvelles formes d’emplois, centrées autour de la figure du salarié « indépendant » ou free-lance, lequel serait mobilisable à la demande ou dans le cadre de contrats de travail repensés. Le consultant informatique free-lance représente ainsi autant ces nouvelles formes d’emploi qui se développent actuellement que le chauffeur de VTC relié à la plateforme Uber tant mentionné dans la presse. Pour le SPECIS-UNSA (Syndicat Professionnel d’Etudes, de Conseils, d’Ingénierie informatique et de Services), ce secteur des ESN représente bien un laboratoire de la « flexibilité 2.0 ». Le renforcement de la capacité d’action des syndicats et des représentants du personnel dans cette branche atomisée et plurielle est au final un enjeu majeur, dans un contexte où celle-ci fait figure d’incubateur des nouvelles formes d’emploi de demain.
Expression des salariés Le numérique va-t-il favoriser la mise en place d’outils d’expression des salariés ? Depuis les lois Auroux de 1982, l’expression des salariés est le serpent de mer de la démocratie sociale. Le numérique va-t-il redonner sa place à ce droit des salariés, qui n’a en fait jamais réellement été mis en pratique ? Nombre d’initiatives ou d’expérimentation ont récemment conjugué cette vieille idée de l’expression des salariés avec les outils numériques : réseaux sociaux d’entreprise (Atos, Danone, Alcatel Lucent…), enquêtes Internet sur les conditions de travail (Total Survey, AG2R La Mondiale….), Comités d’Entreprise ou syndicats créant leur page Facebook, des blogs ou un portail numérique partagé (SFR, Siel Bleu, une entreprise de services informatiques dénommée Smile, etc. VOIR syndicalisme). Ce rapport direct avec les salariés peut aller de simples mesurettes de communication à de véritables projets participatifs communs. Les salariés peuvent mettre sur la table des visions alternatives, crédibles, par exemple dans des projets de réorganisation. D’une façon générale, ces outils d’expression sont très souvent à l’initiative des directions et se font en dehors de la négociation d’un accord sur les modalités d’expression des salariés. En ce début 2016, le débat autour du projet de loi El Khomri a fait par ailleurs resurgir le référendum comme une pratique qui permettrait la véritable expression des salariés… en dehors des modalités classiques de la négociation et de la représentation. Un cas est venu l’illustrer : celui de la FNAC, où plusieurs syndicats représentant plus de 50 % des salariés ont fait valoir leur refus d’un accord sur le travail le dimanche poussé par la direction et accepté par d’autres syndicats. En l’état des choses et du système de négociation sociale issu de la loi du 20 août 2008, ce n’est rien d’autre que la démocratie sociale qui s’exprime. Le recours au référendum permanent ne signerait-il pas la fin de ce système qui n’a même pas dix ans ? D’ailleurs, il ne faut pas confondre référendum et expression des salariés. A la main des directions, les référendums sont savamment organisés (et les questions savamment posées) pour limiter l’imprévu… L’expression des salariés, c’est encore autre chose. L’idée est de faire remonter directement l’expérience vécue du terrain. Les usages numériques favorisent cette réappropriation. Comment ne pas relever la pétition en ligne sur le fameux projet de loi « Travail » qui, avec plus d’un million deux cents mille signatures en mars 2016, s’est invitée dans le débat ? A côté de ces réappropriations-indignations, existent aussi des formes de réappropriation-propositions. « Le travail ça se discute ». De nombreux écrits de préventeurs, dans la lignée d’Yves Clot et de Vincent de Gaulejac, abondent dans ce sens. Que ce soit chez certains dirigeants ou syndicats, la prise de conscience se fait pour améliorer la qualité de vie au travail. La parole comme facteur de bien-être et de compétitivité : de nombreux travaux mettent cela en avant, en économie (l’entreprise comme lieu de coopération entre les personnes) ou en gestion (la fameuse entreprise libérée et autres apôtres du management collaboratif). Ces perspectives remettent au centre les questions de sens, de qualité et d’efficacité. La performance collective est bien plus que la somme des performances individuelles, nous dit l’économiste Olivier Favereau. Selon lui, l’entreprise n’est pas la propriété d’une seule personne ou de ses actionnaires, elle est « l’affaire d’hommes et des femmes qui s’y unissent pour travailler à un projet commun ». Quelles modalités d’expression de ces « parties prenantes » alors ? L’expression des salariés est un outil pour faire face aux difficultés et à la complexité des évolutions des entreprises et gagner en performance. Néanmoins, il ne faut pas ignorer que le retour de la thématique de l’expression des salariés se fait dans un contexte d’essoufflement des relations professionnelles et de défiance envers les institutions de la démocratie sociale. Les systèmes représenta-
tifs institués, aux prises avec un salariat devenu très composite, craignent d’être débordés à la fois par des directions qui voudraient faire sans eux – si ce n’est contre eux –, mais aussi par des salariés de plus en plus individualistes et de moins en moins appétents pour se syndiquer. Ces risques ne sont pas absents mais restent marginaux. On pourrait donc penser qu’il y a ici beaucoup plus de complémentarité que de concurrence. Que l’expression – bien encadrée – peut permettre, lorsque l’on s’en empare, un nouveau souffle de la délibération ou de la négociation en entreprise. Que le manque d’expression et de participation est bien plus coûteux pour la légitimité des institutions représentatives que l’inverse. Que l’initiative syndicale dans ce domaine, quand elle existe, peut être très porteuse. Le numérique peut aujourd’hui offrir un support à cette volonté d’expression. Attention toutefois pour le salarié trop hardi de bien mesurer ses propos, comme le rappelle la jurisprudence récente ! VOIR Facebook (ai-je le droit de dire du mal de mon patron sur)
Facebook Ai-je le droit de dire du mal de mon patron sur Facebook ? Avec plus de 27 millions de membres actifs en France, difficile d’échapper à Facebook. Quelles sont les limites de son utilisation sur le lieu de travail ? Poster des photos, des critiques ou tout autre commentaires peut exposer un salarié à des répercussions inattendues, voire même à des sanctions disciplinaires… Les cabinets de recrutement utilisent cet outil pour sélectionner des candidats, certains de vos collègues (et prétendument « amis » sur Facebook) pourraient ébruiter certaines critiques de l’entreprise que vous laissez sur votre mur… C’est aussi c’est un moyen de géolocalisation qui peut mettre dans l’embarras... Evitez de poster des photos de vacances si vous êtes en arrêt-maladie ou si vous recherchez un emploi ! Cette façon de récolter les informations sur les internautes et de les utiliser peut conduire à se poser une question : l’employeur peut-il licencier un salarié en s’appuyant sur des informations ou photos recueillies sur Facebook ? Ainsi, certains salariés un peu énervés se défoulent sur Facebook sans être conscient du fait qu’une fois postés, leurs propos un peu « amers » peuvent leur créer de sérieux ennuis… Que risque le salarié qui dénigre son employeur sur Facebook ? Deux possibilités selon que les propos postés restent dans une sphère privée ou non. L’arrêt Nikon en 2001 a posé le principe du droit au respect de la vie privée du salarié sur son lieu de travail. L’employeur ne peut pas utiliser n’importe quelle preuve pour démontrer la faute d’un salarié et, notamment, ne peut utiliser des faits relevant de la vie privée du salarié. En matière d’abus de la liberté d’expression du salarié, ce principe suppose que les propos, diffamants ou injurieux, aient un caractère public pour justifier la faute et le licenciement d’un salarié. Cependant, le principe de loyauté de la preuve doit être respecté. Par principe, un fait de la vie privée ne peut jamais faire l'objet d'une sanction. Toutefois, les faits de la vie personnelle peuvent être sanctionnés par l'employeur s'ils ont un lien avec votre activité professionnelle et qu'ils causent un trouble à l'entreprise. Ainsi, bien que les faits litigieux (injures de l'employeur ou de l'entreprise sur Facebook ou Twitter par exemple) soient commis en dehors des heures de travail, ils peuvent donner lieu à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement. La jurisprudence s'attache au caractère de sphère publique ou privée des propos qui figurent sur les réseaux sociaux. Tout propos qui est tenu sur un profil ouvert à tous peut faire l'objet d'une sanction. En revanche, les propos qui sont par nature de la sphère privée de la personne, car accessibles à un nombre restreint de personnes, ne permettent pas à l'employeur d'exercer son pouvoir disciplinaire. En résumé, un seul conseil, activez vos paramètres de confidentialité, et une règle à suivre : séparez le personnel du professionnel !
Fear Of Missing Out (FOMO) Gaffe au FOMO ! Vous ne vous êtes pas connecté depuis plus de trois heures à votre page Facebook ? Vous ne captez pas la 3G et ne parvenez pas à accéder à votre compte Twitter ? Vous avez logiquement peur de passer à côté de quelque chose : vous souffrez d’un nouveau syndrome urbain appelé « FOMO ». Madame Figaro vous rassurera sur ce nouveau mal 2.0 : vous souffrez d’un problème de riche ! En effet, trop d’informations s’offrent à vous. C’est l’embarras du choix. Pour le psy Jean-Charles Nayebi, c’est notre « immaturité technologique » qui s’exprime. La page Wikipédia consacrée à ce problème des temps modernes nous rappelle avec ironie que la fear of missing out était déjà évoquée par Molière dans les Précieuses Ridicules, par la voix de Cathos : « En effet je trouve que c’est renchérir sur le ridicule, qu’une personne se pique d’esprit, et ne sache pas jusqu’au moindre petit quatrain qui se fait chaque jour ; et pour moi j’aurais toutes les hontes du monde, s’il fallait qu’on vînt à me demander si j’aurais vu quelque chose de nouveau que je n’aurais pas vu. » Et pendant que vous feuilletez ce guide, êtes-vous sûr de ne pas avoir loupé le dernier buzz sur les réseaux sociaux ?
Femmes Où sont les femmes ? Le numérique, des emplois masculinisés C’est un paradoxe : alors que les métiers qualifiés se sont progressivement féminisés sur les vingt dernières années, le secteur du numérique va à contre-courant. Il y avait 31 % de femmes dans le secteur de l’informatique entre 1982-84, il n’y en a plus que 20 % entre 2009-11. Volatilisées ! Une récente étude réalisée pour le compte du Syntec Numérique compte seulement 33 % dans les métiers de la branche (bureaux d’études, ESN, ingénierie) alors que les femmes représentent 53 % des emplois, toutes branches confondues. En revanche, elles sont sur-représentées dans les fonctions support (métiers administratifs). Sans action menée pour augmenter la féminisation des emplois, le nombre de femmes formées aux métiers de la branche sera inférieur aux besoins des entreprises. Les proportions risquent même de diminuer, s’inquiète le syndicat employeur. Une source de ce phénomène tient à l’orientation lors des études. Les stéréotypes ont la vie dure, à l’école comme au sein des familles, relève également un rapport publié par France Stratégie. « Aucune princesse ne s’oriente vers la technique », « ce sont les garçons qui inventent les machines de super-héros », « les filles ne sont pas capables de coder » : le rapport de la branche Syntec recense tous ces clichés. Les bachelières des filières scientifiques préfèrent se tourner vers la biologie ou la chimie plutôt que vers le digital. L’absence de modèles féminins joue sur l’attractivité des métiers du numérique. Pour un Steve, Larry, Mark, Elon ou un Jacques-Antoine, combien de Céline ou de Marissa ? Des bonnes pratiques existent cependant en matière d’égalité professionnelle, même si le secteur des entreprises du numérique est réputé pour ses conditions de travail difficiles (horaires exigeants, faible prise en compte des contraintes familiales, etc.). L’égalité geek-geekette, une problématique centrale qui n’a rien de virtuel.
Filière Une filière du numérique, ou plutôt un écosystème numérique ? La notion de « filière » est réapparue récemment dans le débat public comme une façon de résister ou d’apprivoiser la mondialisation, et de mettre en avant les forces de l’appareil productif national. Le rapport Gallois de 2012 faisait du retour des filières une des clés de la compétitivité française. Dans un colloque de 2013, l’UNSA s’interroge : « quelle politique industrielle pour quels emplois ? » et souhaite « replacer les filières au cœur du débat ». Dans cette logique, 12 comités stratégiques de filière ont été institués en septembre 2010 sous l’égide du Conseil National de l’Industrie (CNI). Parmi eux, figure le Comité Stratégique de la filière STIC (Services et technologies de l’information et de la communication), nouvellement baptisé Comité Stratégique de la filière Numérique (CSFN). Il regroupe aujourd’hui des acteurs provenant des différents secteurs du numérique : opérateurs de télécommunication, industriels de l’informatique et/ou de l’électronique, services informatiques, éditeurs de logiciels, administrations et collectivités locales, représentants patronaux et syndicaux. Un « contrat » de filière est signé en 2013, dans lequel les acteurs et l’Etat planifient des engagements et axes de travail : GPEC, rédaction d’un accord RSE de filière, développement du sans-contact mobile, ouverture d’un chantier autour des villes numériques, etc. On voit ainsi se constituer une filière du numérique, d’un point de vue institutionnel. Mais, s’agit-il d’une filière à proprement parler ? Traditionnellement, une filière est la chaîne de valeur qui part d’une matière première jusqu’au produit final. La filière « bois » par exemple va du bûcheron jusqu’aux meubles en kit. Mais où est la matière première dans la filière numérique ? Est-ce la donnée, nouvel or noir du XXIe siècle ? Et quel serait le produit final ? Le numérique est utilisé dans la voiture connectée, le dossier patient électronique, la domotique, les machines-outils 4.0… Bref, s’il existe une « filière du numérique », celle-ci ne concerne ni un produit final, ni une matière première, mais regroupe plutôt des acteurs économiques dont les activités s’articulent autour du numérique. C’est-àdire autour de ce que cette technologie rend possible : le stockage et de la transmission d’information à partir d’un traitement en séquences binaires [voir Numérique (Technologie)]. Certains spécialistes préfèrent même parler d’écosystème numérique. Ils mettent ainsi l’accent sur le caractère dynamique de l’économie numérique, alors que la notion de filière présente un caractère relativement statique. C’est, qu’en effet, le numérique conduit à des évolutions profondes de l’appareil productif. Les frontières se brouillent entre les producteurs des réseaux (traditionnellement les télécoms), les producteurs de contenus et ceux qui fournissent les infrastructures et les services nécessaire au développement des supports (convergence). Le cloud computing en fournit l’exemple le plus criant : tous les acteurs, peu importe leur position sur la « chaîne de valeur », s’y mettent (Google, IBM, Orange, les ESN...). Par ailleurs, le numérique ne peut être analysé d’une manière complètement isolée, sans comprendre les relations entretenues avec les autres activités productives. C’est par l’évolution des rapports qu’entretiennent les acteurs du numériques avec d’autres acteurs économiques (de la banque, de la domotique, de la santé, de l’automobile, etc.) que l’économie numérique se développe, se transforme et transforme la société.
Fintech Des innovations et des chaînes Financement participatif (ou crowdfunding), banque en ligne, coffres-forts virtuels, modèles prédictifs en matière d’assurance et de crédit, intelligence artificielle, etc. Dans la banque, les innovations se multiplient à un rythme effréné. Certains prédisent une ubérisation du crédit. Chacun pourrait devenir banquier et prêter directement via des plateformes comme chacun (ou presque) a déjà pu devenir chauffeur ou transporteur. La réalité sera sans doute différente. Certes, le financement participatif des entreprises est en train de se développer. Mais au final, il permet à de plus petites entreprises d’accéder à un marché financier non bancaire dont bénéficiaient déjà les grandes entreprises en faisant directement appel à l’épargne. Par ailleurs, le crowdfunding est à la source du financement de multiples projets dans l’économie collaborative. Le métier des banques et des assurances reste protégé par deux très hautes barrières à l’entrée : d’une part la réglementation, encore complexifiée depuis 2008, et qui oblige à employer des bataillons de spécialistes des risques et de la conformité ; d’autre part, les fonds propres nécessaires pour garantir la solvabilité de ces entreprises. Cela signifie-t-il que rien ne va changer en profondeur ? Non, bien au contraire. Les banques en ligne captent une clientèle toujours plus nombreuse et la fréquentation des agences des banques traditionnelles baisse rapidement. Des start-up proposent régulièrement des innovations technologiques qui font évoluer les métiers de la banque-assurance. La technologie des « blockchains » (en gros, une base de données agissant comme un grand livre comptable, accessible à tous et non pas uniquement aux intermédiaires financiers, qui est à la base des monnaies virtuelles comme le BitCoin) n’en est sans doute qu’à ses débuts et peut bouleverser le modèle économique (business model) des banques en générant des économies considérables. La différence avec d’autres secteurs innovants est sans doute que, du fait des barrières à l’entrée, il est aujourd’hui peu probable que des acteurs nouveaux apparaissent et s’accaparent le marché traditionnel des banques et assurances. On voit plutôt les établissements investir eux-mêmes dans ces technologies (une quarantaine de banques se sont ainsi alliées pour développer les blockchains) ou racheter les start-up dès qu’elles réussissent. Le modèle ressemble ainsi à celui de l’industrie pharmaceutique où les majors rachètent les start-up qui ont réussi à développer un nouveau médicament. Pour autant, les conséquences sociales promettent d’être considérables. Le nombre de conseillers en agence va continuer de se réduire, les métiers vont évoluer très rapidement. Face à cela, les plans de GPEC apparaissent bien modestes...
Followers Les sympathisants de demain ? Mot d’origine anglaise, construit sur le verbe « to follow » : suivre. La traduction littérale du mot follower serait disciple, partisan, voire la cour selon Le Larousse anglais-français. « The king and his followers » donnerait : « Le roi et sa cour ». Dans l’ère d’internet, le terme signifierait plutôt celui d’ « abonné ». Le terme en vient même à être francisé : je te followe sur Twitter, tu me followes sur Facebook. Et si les followers étaient les sympathisants de la cause syndicale de demain ? Tous les syndicats planchent pour nouer de nouveaux liens avec les salariés (ou les non-salariés) via internet et les réseaux sociaux. Camarades, followez notre e-syndicat et ensemble luttons ! A quelle forme de syndicalisme sont sensibles les nouvelles générations Y ou Z ? Internet est un formidable outil de contact, d’échanges et d’informations pour une section syndicale et peut permettre de nouvelles formes d’expression des salariés. Dans son ouvrage Permis de construire (2015), le secrétaire national de la CFDT, Laurent Berger, évoque le développement de son syndicat au sein de la plateforme logistique Amazon à Lauwin-Planque (Nord) : « ils ne parlent pas des sympathisants mais de leurs followers, écrit-il, nous aussi nous allons devoir nous adapter ! » Aux syndicats de faire adhérer de nouveaux abonnés, militants, courtisans ou followers !
Fonction publique Quel impact du numérique sur le travail des agents de la fonction publique ? Eh oui, l’administration aussi se modernise ! Equipement en moyens informatiques, développement de l’e-administration (guichets en ligne, téléprocédures, déclaration dématérialisée des impôts, etc.)… Mais quid du travail des agents de la fonction publique ? Il y a dix ans, l’étude COI montrait déjà que, contrairement à certaines idées reçues, les fonctionnaires ne sont en retard ni au niveau de leur équipement informatique ni au niveau de l’utilisation qui peut en être faite. Ce constat général ne doit pas masquer des disparités en fonction des équipements utilisés et des usages dépendant des catégories socioprofessionnelles. Pour certains, l’introduction croissante des TIC est un des moyens utilisés pour amener le changement au sein des administrations publiques et pour rapprocher les pratiques et les valeurs du public de celles du privé. Du point de vue des conditions de travail des agents, comme le note l’étude de France Stratégie consacrée à cette question, un aspect positif peut être l’amélioration des échanges à l’intérieur et entre les administrations, grâce aux outils collaboratifs. De même, les outils numériques peuvent fortement accroître l’autonomie au travail, tandis que l’administration peut espérer du même coup augmenter la motivation de ses agents... Cela fonctionnera-t-il ? Concernant l’autonomie, on constate en réalité une superposition de rigidités. Les logiciels mis en place obligent à standardiser les processus de travail et cette rigidité nouvelle peut s’ajouter à d’autres rigidités héritées du modèle bureaucratique… Certains agents peuvent également avoir le sentiment d’être davantage contrôlés qu’auparavant : leurs tâches peuvent désormais être tracées et accompagnées de normes de productivité. Dans ces conditions il n’est pas certains que la motivation augmente ! De même, le numérique peut instaurer une pression temporelle liée à l’immédiateté des réponses attendues en ligne, et transforme la relation aux usagers. En outre, les TIC peuvent venir modifier les relations au travail et la culture des agents. Les collectifs de travail au sein de la fonction publique se construisent autour de valeurs comme la défense de l’intérêt collectif. La mission de service à l’usager donne du sens au travail quotidien des agents. Les TIC perturbent-ils ces collectifs et leurs valeurs ? Dans certains cas, les technologies numérique ont pu éloigner les agents des usagers en virtualisant leur relation. L’e-administration a transformé certains postes de front office (travail relationnel au guichet) en back office (traitement rationalisé des informations). Aujourd’hui, environ 80 % des agents de la fonction publique sont au contact des agents, de façon régulière ou permanente. La relation de contact avec les usagers est une composante importante de l’identité professionnelle des agents. Or les TIC dépersonnalisent la relation à l’usager, ce qui peut expliquer en partie la baisse d’implication de certains agents. Qu’en est-il pour les enseignants ? Il n’existe pas d’enquête sur l’impact des TIC sur leurs conditions de travail. Quelques éléments sont toutefois développés dans la note de France Stratégie, basés sur des établissements avancés dans la numérisation, donc pas forcement représentatifs. Les outils numériques ont des effets contrastés : hausse possible de la charge de travail des enseignants, réduction du temps de présence dans l’établissement (en tout cas pour les enseignants du supérieur), amélioration des échanges avec les élèves, les parents et les autres enseignants en permettant l’échange de documents (relevés de notes ou manuels en ligne), gain de temps notable dans le dé-
roulement du cours (moins de temps perdu à changer de supports), plus grand intérêt et investissement des élèves qui connaissent les TIC depuis leur naissance… Les enseignants insistent sur l’importance d’être davantage formés d’un point de vue technique mais surtout pédagogique, pour ne pas se voir débordés : ne pas en savoir autant que leurs élèves sur les outils numériques, ne pas les utiliser au maximum de leur potentialité ou ne pas pouvoir contrôler leur activité (voir éducation). Des questionnaires plus subjectifs montrent que les agents du public ont une attitude méfiante et inquiète, davantage que dans le privé. Attention à ne pas tout mettre sur le dos d’une présupposée « résistance au changement ». Le changement se construit avec les salariés, pas contre eux ou sans eux. En face de ces transformations rapides et massives, la fonction publique a-t-elle mis en place un management du changement adapté ? Le triptyque accompagnement, formation et concertation prend ici toute son importance.
Plutôt que de le contrôler en train de faire son travail, il s’agirait plutôt de contrôler les résultats de son travail. C’est ni plus ni moins une nouvelle façon de penser le management. Demain, tous nomades et au forfait ? Cela pose d’innombrables questions. Une première question est celle de l’autonomie réelle des salariés en question. En matière de temps de travail, le développement du télétravail vient brouiller les frontières traditionnellement fixées par la régulation collective du temps de travail : temps de travail effectif, temps de repos quotidien, etc. Dans sa contribution au rapport Mettling, le MEDEF pose le cas suivant : « Faut-il empêcher un salarié de rentrer tôt pour s’occuper de ses enfants et se remettre à travailler après dîner ou faut-il considérer qu’il gère librement sa charge de travail de même que son temps de repos ? » Tout est dans le « librement »… Une seconde question concerne le pouvoir des représentants en matière de négociation des conditions de travail et d’analyse de la charge de travail. Or, quelle entreprise évalue véritablement la charge de travail de ses salariés ? La combinaison télétravail + forfait-jours ne signifierait-elle pas la mise sous le tapis de l’analyse de la charge de travail ? La dernière question – centrale – est directement liée à la problématique de la charge de travail. Elle porte sur la protection des salariés en matière de santé et de sécurité. Une extension du forfait-jours pourrait en effet signifier un « transfert de responsabilité » de l’employeur vers les salariés. Modifier la réglementation sur le forfait jour est-il alors si urgent, alors que son usage actuel soulève déjà de nombreuses problématiques ?
GAFA Les nouveaux maîtres du monde (mais attention, arrivent les NATU !) Pour faire moins grandiloquent, on désigne parfois les « Géants du Web » (voir la page Wikipédia consacrée) sous l’acronyme GAFA, pour Google, Apple, Facebook, Amazon. Ces entreprises ont d’abord révolutionné le web : utilisation du web partout, réseaux sociaux, consommation en ligne, etc. 55 % des usages (e-mail, e-commerce, musique, vidéo, réseau social…) d’un utilisateur moyen passerait par ces quatre plates-formes. Elles révolutionnent plus globalement nos vies numériques. Google est dans votre ordinateur, dans votre téléphone, dans votre maison (via les thermostats intelligents Nest désormais propriété de la marque, ou encore les lentilles connectées pour diabétiques objets connectés) et, demain, dans votre cerveau ? L’entreprise a créé Calico, start-up de biotechnologies spécialisée dans les maladies liées à l’âge et la neurodégénérescence. Son mystérieux Google X Lab travaillerait sur un programme de diagnostic des cancers et, demain, dit-on, sur la possibilité de télécharger notre conscience sur un ordinateur. Google est-il en train de créer la vie éternelle et le surhomme ? Auparavant, il aura peut-être même concurrencé votre entreprise a priori protégée, comme par exemple… le rail. En 2013, « devant des cadres médusés », racontent les auteurs de Bienvenue dans le Capitalisme 3.0, le patron de la SNCF présentait Google comme la prochaine menace ! « Bientôt, les deux tiers des patrons du Cac 40 viendront à se demander si leur premier concurrent demain ne sera pas Google », dit le président de la Fondation internet nouvelle génération (cité dans le même ouvrage). Les quatre GAFA pèsent aujourd’hui plus lourd que l’ensemble des entreprises cotées au Cac 40 français ! Avec un comportement de passager clandestin. Le patron de vente-privee.com, un des fleurons de notre économie numérique bleu-blanc-rouge, paye plus d'impôts en France que Google, Apple, Facebook, eBay et Amazon réunis. « C’est un gag ! », relevait-il dans un entretien. Les GAFAM (GAFA + Microsoft) utilisent en effet des stratégies d’ « optimisation fiscale » les conduisant à payer 22 fois moins d’impôt à l’Etat français que ce qu’ils doivent. En recourant notamment au fameux « double Irish », une pratique de contournement du fisc européen en rapatriant l’ensemble des bénéfices en Irlande, Facebook n’a versé que 191 000 euros d’impôts en France en 2012 ! Derrière les GAFA, se profile désormais une nouvelle ère : celle des NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, et Uber), les quatre grandes entreprises emblématiques de la « disruption » numérique ! Bien que pesant moins lourd en termes financiers (quoique Uber vaudrait plus de 50 milliards de dollars, quand Renault en pèserait 26…), ces entreprises sont en croissance ultra-rapide. Comme les GAFA, les NATU modifient vos vies, cette fois jusque dans le travail. Google et Amazon, c’est (c’était) encore le salariat ; Airbnb et Uber, demain : quel modèle d’emploi ?
Gig economy Youpi, l’économie des petits boulots se développe?! Terme anglais pour caractériser la nouvelle « économie des petits boulots » ou « des petits services ». Synonymes anglais : 1) share economy – expression renvoyant à l’idée d’une économie du partage, donc connotée plus positivement) ; 2) platform economy – terme insistant sur le rôle des plateformes numériques mettant en relation offreurs et demandeurs de services (ou de petits boulots). Le mastodonte américain s’appelle « Taskrabbit », les micro-travailleurs s’y font appeler les taskers (les tâcherons, quoi). Taskrabbit, c’est les services à la personne sans intermédiaire : ménage à domicile, montage de meuble Ikea, voire faire la queue pour vous acheter un ticket à l’opéra. Les clients potentiels fixent des enchères maximales et peuvent cliquer sur la photo du tasker. Le patron de cette entreprise n’a ni plus ni moins comme objectif que de « révolutionner la force de travail mondiale ». Un modèle qui fonctionne sur les inégalités sociales : des acheteurs prêts à payer ces services pour se libérer du temps, des travailleurs prêts à rendre ces services souvent faute de mieux. Une économie des services ou des serviteurs ? Une start-up française s’appelle « Youpijob » et vous propose de devenir « jober ». Youpi, l’économie des petits jobs rémunérés ! Un autre site français s’appelle 5euros.com où l’on peut vendre ses services : « je vais réaliser votre bande-annonce », « je vais traduire 600 mots de l’espagnol vers le français » voire « je vais écrire la chanson d’amour pour la personne de votre choix ». Le tout pour un prix unique, 5 euros si vous avez bien suivi ! Love me, jober… Une journaliste de l’Obs qui a testé ce service a failli en avaler sa carte de presse. Mettant en vente ses compétences rédactionnelles (votre article pour 5 €), elle avait l’impression d’ubériser toute la profession… Une multitude d’applications web proposent également de jouer les intermédiaires dans d’autres domaines (la traduction par exemple, qui à la différence du travail physique dans les petits boulots précédents, peut se faire de façon délocalisée, n’importe où sur la planète). S’agit-il de « tâches », de « jobs », d’ « emplois », d’ « activités indépendantes » ? « Il y a quelques années, la norme était de changer de travail tous les trois ou quatre ans. Les travailleurs indépendants avaient quelque chose de suspect. Désormais, travailler pour cinq employeurs en même temps est un insigne d’honneur. Cela montre votre valeur réelle. Vous êtes un professionnel hors pair, et on s’arrache vos services pour cela ». Voila en substance ce que disait un article de la revue technophile américaine Wired : la gig economy est ce qui va sauver le travailleur américain ! Aujourd’hui, ce sont les designers, les traducteurs, les programmateurs informatiques qui sont les travailleurs freelance du numérique, ainsi que les fameux chauffeurs Uber ou les femmes de ménages de Taskrabbit ou de Youpijob. Dans dix ans, écrit Wired, ce sera nous tous ! Travailleurs qualifiés ou non qualifiés, tous connectés et freelance ? Aux Etats-Unis, le travail en freelance qui concernait 6 % des salariés en 1989, en concernerait entre 20 % à 30 % aujourd’hui. Les grandes villes américaines connaissent un accroissement rapide du nombre de travailleurs indépendants : +20 % par exemple à Los Angeles ou Austin entre 2013 et 2014. Il devrait y avoir environ 40 % de « travailleurs à la demande » en 2020. Un phénomène marquant aux Etats-Unis est le multi-statut : à la fois employé « classique », dans le cadre d’un contrat de travail, et indépendant dans le cadre d’un contrat commercial. « Le travail freelance, c’est la nouvelle norme! », dit la responsable américaine du syndicat des Freelancers (car oui, il existe un syndicat). Mais quelle est la norme en matière de protection de ces travailleurs ? Aux Etats-Unis, une faible protection sociale dans le cadre d’un emploi à temps partiel, associée à pas de protection sociale dans le cadre d’un « mini-gig » voire d’un « nano-gig » ? Et en France ? VOIR : Indépendant (Travail)
GPEC La GPEC à l’ère du numérique : anticiper la transformation des emplois ? La Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) est-elle la réponse à l’impact du numérique sur le monde du travail ? Oui ! Bien sûr ! En théorie… mais il faudrait alors que les pratiques s’adaptent. Depuis son entrée complète dans l’arsenal juridique français (en 2005), la GPEC s’est traduite essentiellement par des grands accords-cadres indiquant surtout de belles intentions RH, ainsi que des plans de départs volontaires remplaçant les habituels PSE. La GPEC souffre d’un déficit de pratique et d’habitude de négociation. Elle est aussi une notion qui n’est finalement pas si évidente. Une entreprise peut-elle planifier l’évolution de ses besoins à trois ans ? En théorie oui, sauf que le DRH d’une filiale d’un groupe a un horizon de temps qui se compte en mois. L’entreprise a-t-elle intérêt à adapter son personnel ou vaut-il mieux trouver sur le marché du travail des personnes déjà formées ? La GPEC est un objectif noble et une réalité limitée. La GPEC doit-elle être faite par le marché, l’entreprise ou les pouvoirs publics ? Le développement du numérique n’améliore en rien la situation de la GPEC. « Les prévisions sont difficiles, surtout quand elles concernent l’avenir », aimait à dire Pierre Dac, à une époque où les premiers ordinateurs utilisaient encore des cartes perforées. Le numérique ne change rien à l’affaire mais il accélère le problème. Les révolutions technologiques du monde classique se déroulaient sur un temps long de plusieurs années ou décennies. Un salarié adapté à une nouvelle technologie avait donc un certain horizon de tranquillité devant lui. Le numérique accélère le temps (ou le réduit ?) et une avance technologique ne dure plus que quelques mois ou de courtes années. Le numérique accélère donc le besoin d’évolution et d’adaptation. Dans ces conditions, la GPEC est-elle une réponse au numérique? Elle a rencontré beaucoup de difficultés dans des cas « normaux », pourquoi réussirait-elle mieux aujourd’hui, alors que la fonction RH n’a jamais été aussi appauvrie ? Ne serait-ce pas une mission de service public de permettre aux salariés de s’adapter aux évolutions numériques ?
Homejoy Que nous apprend le premier fiasco de l’économie ubérisée ? Les licornes ont beau être des animaux féériques, elles ne sont pas immortelles. C’est ce qui est arrivé à la start-up américaine Homejoy, spécialisée dans le ménage à domicile. « Premier échec de l’Uber-économie », « fiasco spectaculaire de l’Uber du ménage », « comment planter une startup qui a levé 38 millions de dollars » : la fermeture de cette entreprise, début 2015, a été abondamment commentée. A la manière de Taskrabbit, Homejoy est fondé sur un modèle d’économie à la demande (gig economy) : des travailleurs indépendants connectés à une plateforme numérique. Son échec serait en partie dû à la menace de poursuites judiciaires intentées par ses travailleurs indépendants réclamant des contrats de travail, ce qui aurait fait fuir des investisseurs. Mais d’autres causes seraient plus banales, en particulier une fuite constante de ses meilleurs employés, préférant des contrats en direct mieux rémunérés avec les (désormais ex-) clients. La qualité n’était pas au rendez-vous, alors que qualité des emplois et qualités des services sont centraux sur ce marché des services à domicile. La plupart des travailleurs de Homejoy n’avaient aucune expérience dans ce type de tâches. Le service rendu, ce n’était pas la « joie » ! La formation des intervenants à domicile est centrale : or, qui paye pour la formation dans ce type de marché composé exclusivement d’indépendants ? Et tant pis pour le travailleur si l’algorithme utilisé par la plateforme les envoie à une heure et demie de leur domicile, ou pire s’ils ont un accident de travail. En France, on peut recruter directement quelqu’un pour faire le ménage chez soi, mais l’on doit respecter une convention collective, impliquant des droits pour le salarié. Pour l’un des cadres de l’entreprise, un autre problème majeur « est qu’on ne tirait pas assez d’argent de nos clients (…). On dépensait beaucoup pour les trouver, mais on ne les retenait pas ». Une stratégie de disruption de l’entreprise a été de casser les prix en bradant des coupons « Groupon » (une journée de nettoyage pour 20 dollars). Mais les clients ne revenaient pas vers le service. L’entreprise fonctionnait tout bonnement à perte. D’un point de vue économique, l’entreprise a privilégié sa croissance à ses revenus. Son expansion internationale (dans les grandes villes américaines, mais aussi à Berlin ou Paris, ou l’on peut retrouver trace de sa stratégie de guerre des prix) a été précipitée. Les travailleurs indépendants de Homejoy n’ont jamais été remerciés : ils n’ont plus reçu de réservations.
Indépendant (Travail) Quelle protection sociale pour le travail indépendant en France à l’ère du numérique ? Les indépendants représentent environ 3 millions de personnes en France, tous secteurs d’activité confondus. Pour l’INSEE, il s’agit d’entrepreneurs qui ont tous comme point commun l’absence de contrat de travail et de lien de subordination juridique à l’égard d’un donneur d’ordre. Mais la composition des indépendants est très hétérogène : pour certains il s’agit de leur activité principale, pour d’autres d’une activité de complément ; certains emploient des salariés, d’autres non ; etc. Si aujourd’hui ces non-salariés représentent environ 10 % du salariat total, la proportion est montée bien plus haut il y a quelques années : elle était de 16 % en 1980 et de 20 % en 1970. Depuis le début des années 2000, la part des non-salariés recommence à croître. Le regain apparent du travail indépendant est donc à relativiser comme le dit le rapport du CNNum. Dans d’autres pays, la part des non-salariés dans l’emploi